CONAKRY — La première élection présidentielle libre en Guinée s'est déroulée paisiblement dimanche, mais des observateurs redoutent que l'annonce des résultats provisoires du premier tour, attendue mercredi, fasse monter la tension en raison d'enjeux ethniques et régionaux.
Ces premiers résultats devraient être annoncés publiquement au cours d'une conférence de presse à Conakry par la commission électorale nationale indépendante (Céni), qui dispose légalement de 72 heures pour les proclamer.
En Guinée "une seule ethnie ne peut diriger" le pays, a déclaré samedi la présidente du Conseil national de transition (CNT), Rabiatou Sérah Diallo, à l'attention des 24 candidats et de leurs militants.
Le sujet reste sensible dans ce pays, où "les militants s'affilient à un parti non pas pour des raisons idéologiques et politiques, mais parce qu'ils ont un parent qui est chef de parti", affirme le président de l'Observatoire national de la démocratie et des droits de l'homme (ONDH), Mamadou Aliou Barry.
"L'absence de démocratie et la limitation des libertés (depuis 1958) ont fait que les gens se sont repliés sur leur ethnie et région. Les leaders en font une exploitation politique", assure de son côté le président de l'Association guinéenne pour la transparence, Mamadou Taran Diallo.
Ainsi, parmi les principaux candidats, Cellou Dalein Diallo a son fief électoral en Moyenne Guinée, peuplée majoritairement de peul, tandis que la force électorale d'Alpha Condé est surtout concentrée en Haute Guinée où les malinké sont majoritaires.
"Comment ces leaders, assis sur un électorat ethnique et régional, vont-ils faire accepter les résultats à leurs militants ? On sent une tension monter dans les partis. Les derniers évènements nous inquiètent", dit M. Barry.
Une personne a été tuée la semaine dernière, à Coyah, dans des heurts entre partisans de Cellou Dalein Diallo (peul) et de Sidya Touré (diakhanké, ethnie minoritaire).
La directrice de campagne d'un des principaux candidats Lansana Kouyaté, a affirmé mardi devant la presse qu'il y avait eu des "fraudes massives" dans certains quartiers de la capitale et dans deux autres villes du pays. Et mardi soir, le parti de Cellou Dalein Diallo, l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), avait également affirmé que des "irrégularités" avaient été relevées depuis le scrutin dans deux des cinq communes de Conakry, évoquant notamment des "bourrages d'urnes".
"Des troubles peuvent survenir. J'ai des craintes surtout pour les gens qui appartiennent à une ethnie minoritaire et qui se trouvent avec une ethnie majoritaire" dans une zone, ajoute M. Barry, sans préciser de lieux.
Depuis son indépendance, la Guinée a d'abord été dirigée pendant 26 ans (1958-1984) par Ahmed Sékou Touré, un malinké.
Dénonçant un prétendu "complot peul" en 1976, le régime dictatorial avait lancé une répression contre cette ethnie, selon M. Taran Diallo.
Parmi les victimes les plus connues, figurait l'ancien secrétaire général de l'Organisation de l'Unité africaine (1964-1972), Diallo Telli, mort de privation de nourriture et d'eau dans une cellule du camp Boiro.
Puis le pays a connu les 24 ans de règne du militaire Lansana Conté, d'ethnie soussou (1984-2008).
En 1985, la répression qui a suivi la tentative de putsch du Premier ministre Diarra Traoré, a été dirigée spécifiquement contre la hiérarchie militaire malinké, l'ethnie de M. Traoré, selon la même source
.
Enfin, le capitaine Moussa Dadis Camara, porté au pouvoir par l'armée à la mort de Conté, est un soldat d'ethnie guerzé. En 2009, il a été accusé d'avoir fait recruter des milliers de jeunes - majoritairement guerzé - pour gonfler les rangs de l'armée.
Victime d'une tentative d'assassinat fin 2009, il a finalement été écarté du pouvoir, et le général Sékouba Konaté, un malinké, assure depuis la "transition".
"Des peuls considèrent à présent que c'est leur tour" de gouverner, affirment M. Barry ainsi que des sources diplomatiques occidentales.
Pour le représentant du secrétaire général de l'ONU en Afrique de l'ouest, Said Djinnit, l'ethnicité reste "un facteur de la politique en Afrique en général et en Guinée en particulier" et les partis se doivent d'"offrir des projets de société qui peuvent mobiliser tous les citoyens, quelle que ce soit leur appartenance ethnique".