La CEDH condamne Paris sur les conditions de détention
LEMONDE.FR avec Reuters, le 20 janvier 2011
Les conditions de détention d'un détenu et les fouilles à nu subies par un autre ont valu, jeudi 20 janvier, à la France deux condamnations pour traitements inhumains et dégradants devant la Cour européenne des droits de l'homme. La juridiction du Conseil de l'Europe affirme également que le placement d'un détenu en cellule disciplinaire ne peut pas faire l'objet aujourd'hui en France d'un "recours effectif".
FOUILLES À NU RÉPÉTÉES
Les deux requérants sont des "détenus particulièrement signalés" ressortissant au grand banditisme. Philippe el Shennawy, condamné à plusieurs reprises depuis 1977 pour des vols avec armes et séquestrations, dénonçait devant la Cour de Strasbourg les fouilles répétées dont il a fait l'objet lors de son dernier procès d'assises, du 9 au 18 avril 2008, à Pau. Quatre à huit fois par jour, il devait subir des fouilles à nu avec inspection anale par des agents cagoulés de l'ERIS (équipe régionale d'intervention et de sécurité), qui filmaient l'opération avec un caméscope.
Sans contester la dangerosité du détenu, la Cour européenne estime que ces fouilles ne reposaient pas "sur un impératif convaincant de sécurité", et ont pu provoquer chez lui "un sentiment d'arbitraire, d'infériorité et d'angoisse". Elle condamne également la France pour ne pas lui avoir offert un "recours effectif" devant une juridiction contre ce régime de fouilles. Philippe el Shennawy, note-t-elle, est à l'origine d'un revirement de jurisprudence du Conseil d'Etat, qui a admis que les décisions des autorités pénitentiaires relatives aux fouilles corporelles pouvaient faire l'objet d'un référé-liberté devant le tribunal administratif.
ATTEINTE À LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE
Pascal Payet, le second requérant, purge plusieurs peines, pour meurtre d'un convoyeur de fond, vols à main armée et pour deux évasions par hélicoptère. Il se plaignait des changements fréquents de lieu de détention qui lui sont imposés pour déjouer toute tentative d'évasion et de son placement en cellule disciplinaire durant quarante-cinq jours en 2007 au centre de détention de Fleury-Mérogis.
Les juges de Strasbourg l'ont débouté sur le premier point, compte tenu de son "profil" mais estiment que sa détention dans une cellule de 4,15 m2 sans lumière, ni aération, ni conditions sanitaires appropriées, a porté atteinte à sa dignité. Ils constatent par ailleurs que le seul recours, non suspensif, contre un placement en quartier disciplinaire, passe par le tribunal administratif, après saisie du directeur interrégional des services pénitentiaires. "En raison de cette procédure, le requérant n'était plus en cellule disciplinaire quand un juge était enfin en mesure de statuer sur sa demande", constate la Cour.
La Cour européenne des droits de l'homme a accordé 9 000 euros au titre du dommage moral à Pascal Payet, et 8 000 euros à Philippe el Shennawy.
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La France condamnée pour manque de soins envers une détenue
LEMONDE.FR avec AFP, le 21 décembre 2010
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné, mardi 21 décembre, la France pour ne pas avoir permis à une détenue malade et anorexique de 48 ans d'être soignée dans un structure adaptée, en aménageant sa peine. Virginie Raffray Taddei, actuellement en détention à Roanne, a déposé à plusieurs reprises ces dernières années des demandes de suspension de peine et/ou de libération conditionnelle pour raisons médicales.
Les expertises ont mis en doute certaines des pathologies alléguées par Mme Raffray. Mais elles ont attesté qu'elle souffrait d'un asthme grave, d'une insuffisance respiratoire chronique, d'anorexie et du syndrome de Münchhausen, une forme d'hypocondrie extrême où le malade en vient à essayer de provoquer les symptômes des maladies dont il dit souffrir.
Après une grève de la faim en juillet 2008, la détenue est devenue anorexique. Elle pesait 34 kg pour 1,65 m selon un examen réalisé en mars 2009. Cette année-là, plusieurs expertises médicales ont préconisé une prise en charge de la patiente dans une structure adaptée. La justice française a pourtant rejeté les demandes de suspension de peine de Virginie Raffray. "La seule condition de la nécessité de soins ne suffit pas à ouvrir au condamné un droit à la libération conditionnelle, mesure qui exige de ce dernier qu'il manifeste 'des efforts sérieux de réadaptation sociale'", a expliqué la cour d'appel de Lyon, qui a jugé insuffisants les efforts de Mme Raffray, notamment pour indemniser les victimes de ses délits. Les autorités ont à plusieurs reprises fait valoir que Mme Raffrey instrumentalisait ses maladies pour pouvoir sortir de prison.
Mais pour la CEDH, "l'absence de prise en compte par les autorités nationales de la nécessité d'un suivi spécialisé dans une structure adaptée", le fait qu'elle ait au contraire été transférée à deux reprises, et la durée de la procédure, constituent une violation de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, qui proscrit les "peines ou traitements inhumains". L'arrêt de la Cour, susceptible d'appel, n'a pas accordé de dommages à la requérante, qui n'en avait pas demandé.