Le gouvernement embarrassé après la révélation d'un fichier illégal sur les Roms
Le Monde, le 8 octobre 2010
Le ministère de l'intérieur a réagi avec prudence, jeudi 7 octobre, à la révélation d'un fichier de la gendarmerie sur les Roms, et après la plainte de quatre associations de gens du voyage. Elles dénoncent la création d'un fichier ethnique, baptisé MENS, pour "minorités ethniques non sédentarisés" par l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), qui en nie l'existence.
" Je n'ai pas connaissance d'un fichier appelé MENS, a indiqué Brice Hortefeux à la sortie d'une réunion à Luxembourg, mais nous avons demandé au groupe de contrôle des bases de données d'examiner le sujet fin de pouvoir tirer toutes les conséquences si des éléments nouveaux apparaissaient." Le groupe, présidé par le criminologue Alain Bauer, devrait rendre ses conclusions le 18 octobre.
Le ministère de l'intérieur, dans un communiqué, convient cependant qu'un"fichier généalogique, alors détenu par l'OCLDI, a été supprimé le 13 décembre 2007, conformément aux obligations de la loi". La place Beauvau n'indique pas sur quelle base légale a été constitué ce fichier, qui n'a pas été déclaré à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), et a échappé tant aux deux missions d'Alain Bauer en 2006 et 2008 qu'au rapport des députés Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti(UMP) de 2009.
Le ministère indique enfin qu'"une note de la gendarmerie nationale, en date du 25 mai 1992, a fait référence à la notion de minorités ethniques non sédentarisées" et suggère ainsi que cette formulation a disparu. Elle était cependant toujours utilisée en 2004 et 2005, comme le prouvent les documents publiés par LeMonde.fr.
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Fichier Roms : plainte de 4 associations, Hortefeux annonce un contrôle
AFP, le 7 octobre 2010
PARIS — Quatre associations ont déposé plainte contre un "fichier ethnique, illégal et non déclaré" de la gendarmerie sur les Roms et les gens du voyage, l'existence de tels fichiers ayant toujours été niée par le gouvernement français.
Le ministère de l'Intérieur a déclaré ne "pas (en) avoir connaissance", mais il a annoncé un "contrôle" et le ministre, Brice Hortefeux, s'est dit prêt à "tirer toutes les conséquences" si l'existence du fichier était avérée.
Le PS a exigé sa "destruction immédiate", une demande relayée par le PCF, tandis que la députée socialiste Delphine Batho réclamait l'audition à l'Assemblée "très rapidement" de M. Hortefeux. L'eurodéputée Modem Nathalie Griesbeck a accusé le gouvernement de continuer "dans la voie de la stigmatisation d'une minorité".
Les plaignants ont annoncé jeudi la saisine de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Ces deux organismes ont annoncé avoir été saisis dans la soirée par les plaignants.
L'existence d'un "fichier ethnique", toujours niée par les autorités françaises, relancerait le tollé né des expulsions de Roms, reprochées à la France dans le monde entier.
Mi-septembre, les critiques avaient redoublé après la révélation de l'existence d'une circulaire de l'Intérieur, depuis remplacée par un autre texte, et ciblant expressément les Roms.
La plainte, déposée mercredi, émane de La voix des Roms, de l'Union française d'associations tsiganes (UFAT), de la Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat) et de l'Association nationale des gens du voyage catholiques (ANGVC).
"Compte tenu de l'extrême gravité des faits", leurs avocats, William Bourdon, Henri Braun et Françoise Cotta, ont demandé qu'une "information soit ouverte dans les plus brefs délais" par le procureur de la République de Paris saisi mercredi, a annoncé jeudi Me Bourdon.
La plainte évoque des documents de l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), dirigé par un colonel de gendarmerie, et destinés à "effectuer une généalogie des familles tsiganes". Selon les associations, "cela ne semble possible qu'avec l'utilisation d'un fichier" dit Mens pour "Minorités ethniques non sédentarisées".
Les plaignants affirment que ce fichier est "à caractère ethnique" et "n'est pas déclaré" à la Cnil.
Les documents joints à la plainte "démontrent qu'il existe un moyen pour l'OCLDI d'effectuer une compilation des interpellations de Roms (étrangers) par la gendarmerie (...) pays par pays". Ils "attestent de l'existence d'un fichier des interpellations des Roms (ethnie) nationalité par nationalité".
Me Bourdon a mandaté mercredi un huissier pour "rechercher la trace" de Mens sur internet. Selon son constat, une "liste de résultats" a été obtenue qui sera communiquée au procureur, a expliqué Me Bourdon.
L'Intérieur a déclaré jeudi "ne pas avoir connaissance d'un tel fichier", selon son communiqué. Mais "dans un souci de totale transparence", il a demandé au groupe de contrôle et de l'organisation des bases de données de la police et de la gendarmerie "de procéder à un contrôle des éléments recueillis", "dès la semaine prochaine".
Interrogé par Canal+, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a déclaré: "Mes informations, qui viennent directement de la gendarmerie, c'est que ce fichier n'existe pas ou plutôt qu'il n'existe plus de fichier de ce genre depuis 2007".