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Roms : "La moitié des reconduites forcées sont illégales"
 

Le Monde, le 31 août 2010

Le tribunal administratif de Lille a annulé, mardi 31 août, sept arrêtés de reconduite à la frontière visant des Roms expulsés jeudi d'un terrain à Mons-en-Barœul (Nord). Motif de ces annulations, qui s'appuient sur un arrêté de la cour de Versailles datant de juillet 2009 : l'absence d'un trouble à l'ordre public suffisant pour justifier une expulsion, la seule infraction constatée étant l'occupation illégale d'un terrain d'autrui, habituellement punie d'une amende.

L'avocat des sept Roms, Norbert Clément, revient sur les procédures endurées par ses clients et dénonce des préfectures françaises qui « «violent la loi ».

Comment vos clients ont-ils vécu les événements de ces derniers jours ?

Ils sont désorientés. Ces sept Roms ont toujours respecté la loi. Ils connaissent les règles concernant les ressortissants communautaires, sur l'obligation d'avoir des papiers, de ne pas rester plus de trois mois sur le territoire quand on n'a pas de ressources. Aucun n'a été pris dans des affaires pénales. Ils s'étaient fait aider par des prêtres ou d'autres Roms déjà sur place dans leurs démarches d'intégration. Certains d'entre eux avaient l'intention de rester en France, avaient commencé à s'inscrire pour avoir droit à un HLM ou scolariser leurs enfants, d'autres voulaient simplement rester pendant le temps imparti et participer à la communauté. Mais tous avaient la volonté de rester dans les clous.

Jeudi matin, ils sont réveillés à 6 heures par les autorités et placés en garde à vue pour le simple motif d'avoir occupé le terrain d'autrui. Ils restent près d'une demi-douzaine d'heures au poste, avec leurs enfants, et quand ils sortent et qu'ils reviennent sur le terrain où étaient construites leurs habitations de fortune, tout est détruit. Ils sont alors certains de devoir quitter le territoire prochainement. Cela les a bien sûr déboulonnés.

Le tribunal administratif de Lille a finalement annulé les sept arrêtés de reconduite à la frontière. Pensez-vous que cette décision aurait pu s'appliquer à d'autres cas similaires ?

Actuellement en France, selon les préfectures et le gouvernement qui s'en vantent, environ 20 % des Roms reconduits dans leurs pays d'origine le sont dans le cadre d'une reconduite forcée [le gouvernement a affirmé que 151 ressortissants roumains et bulgares ont été reconduits à la frontière entre le 28 juillet et le 17 août "de manière contrainte" et 828 "de manière volontaire"]. Selon moi, la moitié de ces reconduites forcées sont illégales. Plus particulièrement celles qui interviennent dans le cadre d'arrêtés portant reconduite à la frontière [APRF, qui concernent les personnes présentes depuis moins de trois mois sur le territoire français]. Je suis persuadé que la plupart de ces arrêtés sont signés pour des motifs qui n'en sont pas.

Mes clients auraient très bien pu traverser en dehors du passage piéton ou fumer une cigarette dans un espace public : ce sont des "troubles à l'ordre public" du même ordre que l'occupation illégale d'un terrain. Au lieu de leur coller une amende, on décide d'aller beaucoup plus loin, je dirais même 2 000 kilomètres plus loin, et de les reconduire dans leur pays. C'est stupide et contraire au terrain juridique. Les préfets qui prennent ces décisions le savent, mais se disent : 'Ce n'est pas grave, de toute façon, ils n'ont que 48 heures pour contester, et après ça la décision devient définitive et non révocable'. La contestation des APRF doit en effet avoir lieu dans les deux jours, sinon c'est foutu.

C'est alors la course contre la montre. Parmi les sept Roms qu'on a pu sauver, on a fait des recours, samedi, huit minutes avant l'expiration du délai. Si nous avons réussi, c'est que les associations se sont immédiatement occupées d'eux, notamment pour leur trouver des logements provisoires, même si certains dorment encore aujourd'hui dans des voitures. Et surtout, elles ont pu les accompagner dans la procédure de contestation au tribunal administratif. Les Roms auraient sinon eu des difficultés à faire valoir leurs droits seuls, sans avoir de connaissances suffisantes en français et tout en devant s'occuper de leurs problèmes matériels immédiats. Mais je suis certain que dans d'autres cas, des dizaines de Roms ont été expulsés de force sans avoir eu la possibilité légitime de contester ces décisions illégales.

Vous décrivez, sur un blog dédié aux droits des étrangers que vous animezle déroulement de l'interpellation de vos clients. Pourquoi se sont-ils fait confisquer leurs papiers par la police de l'air et des frontières (PAF) ?

Seulement pour leur mettre la pression. Quand vous privez quelqu'un de ses papiers ou de son passeport, il est fragilisé, surtout après plusieurs heures de garde à vue où on vous a expliqué que vous allez de toute façon quitter la France. Le récépissé qu'on leur donne leur explique bien par ailleurs qu'ils les récupéreront à la sortie du territoire. Comment voulez-vous contester la décision de la préfecture dans cette posture, alors que vos papiers sont tout ce qu'il vous reste ?

Mais juridiquement, sur des motifs aussi faibles, cette confiscation de papiers est une décision elle aussi contestable devant le tribunal administratif. La preuve : la préfecture conteste avoir saisi les papiers de mes clients. Je leur ai demandé, l'un d'entre eux m'a transmis le récépissé en question.

J'ai confiance : on est dans un Etat de droit, et je pense qu'avec cette claque du tribunal administratif, la préfecture va maintenant se calmer. Mais lorsqu'on vous explique, au plus haut niveau de l'Etat, qu'un Rom est forcément un délinquant, un violent, et qu'on les criminalise en permanence, je ne m'étonne pas que les autorités en soient arrivées à franchir les barrières de la loi, en trouvant n'importe quel motif pour justifier des expulsions.

 

   
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