RTWArchives

Plan du site
Sommaire
Archives



 
Kirghizstan : à Och, les bandes armées font régner leur loi

Le Figaro, le 14 juin 2010

REPORTAGE - Les pogroms contre les Ouzbeks auraient fait des centaines de morts dans le sud du pays.

Il n'y a guère que la haine interethnique qui puisse détruire avec autant d'acharnement. Och, la capitale du sud du Kirghizstan, ressemble dans certains quartiers, les ouzbeks, à ceux jadis ravagés par les hordes de Gengis Khan, le chef mongol. Dans l'avenue Mazalief, les maisons de thés, où les hommes ont l'habitude de passer le plus clair de leur temps, sont toutes ravagées. Qui sont les propriétaires de ces établissements? «Des Ouzbeks», répondent un brin gêné, des policiers des forces spéciales qui ont accepté de nous escorter jusqu'au centre-ville depuis l'aéroport. Au fil des rues, la question maintes fois posée reçoit toujours la même réponse.

Passé dix-huit heures, la ville respecte scrupuleusement le couvre-feu. Notre véhicule slalome entre les carcasses brûlées des voitures et les chicanes qui jalonnent les rues d'Och, quasi désertes. Dans les quartiers kirghiz, quelques hommes palabrent au bord des rues, d'autres montent la garde. Tout le monde est armé. Des douilles de différents calibres jonchent le sol. Dans les quartiers ouzbeks, plus personne.

Plus un toit. Ici ou là, de la fumée s'échappe encore de décombres. L'odeur des pneus et des matières plastiques brûlés, empeste l'atmosphère. Pas une boutique n'a résisté à la fièvre ethnonationaliste kirghize.

Les maisons ont été attaquées à coups de cocktails Molotov. Sur la plupart des murs, il est écrit sarty, ce qui veut dire quelque chose comme «sale commerçant radin». La communauté ouzbeke, 40% du sud kirghiz dont est issue l'immense majorité des victimes, a le tort d'être commerçante et de savoir faire fructifier ses affaires. Ceux qui ont survécu n'ont qu'une peur : être de nouveau pris pour cible.

Collusion entre l'armée et les émeutiers

Selon le CICR, 80.000 Ouzbeks du Kirghizstan se seraient réfugiés en Ouzbékistan voisin où des corridors humanitaires ont été ouverts. Combien de morts? 138 officiellement et près de 1800 blessés. «Il y a beaucoup plus de décès. Mais les Ouzbeks ne peuvent pas enterrer leurs morts, sinon dans leur “maala” (quartier traditionnel ouzbek). Il y a certainement des centaines et des centaines de morts », estime Tolekan Ismaïlova, de l'ONG Citoyens contre la corruption. Un triste bilan que craignent quantité de témoins, kirghiz et étrangers.

Les seuls véhicules à circuler dans Och sont des tanks et des BTR, des blindés légers. Au check point, la population kirghize sympathise avec les militaires. «La collusion entre armée et population, celle qui commet les exactions, comme je l'ai vu, est plus que troublante», raconte un étranger qui a assisté au pogrom d'Och entre vendredi et dimanche dernier. Des véhicules de transport de troupes blindés auraient tiré sur les civils pour ouvrir la voie aux bandes armées. «Il y avait des armes à feu, mais aussi des sortes de machettes de fortune, fabriquées d'un bâton et d'un couteau attaché au bout», raconte ce témoin.

Pourquoi tant de haine? Avec le renversement du président Bakiev, le 7 avril dernier, le pays flirte avec le chaos. Originaire du sud, Kourmanbek Bakiev tente probablement de faire payer sa chute à ses tombeurs, le gouvernement provisoire actuel. La pauvreté, le manque de terre, l'ethnonationalisme cultivé depuis des années auront fait le reste, dans une région que les haines interethniques avaient déjà embrasé en 1990, faisant plus de 300 morts.

-----------------------

80 000 réfugiés en Ouzbékistan

L'Ouzbékistan a lancé ce lundi un appel à l'aide internationale pour les dizaines de milliers de réfugiés qui ont fui les violences au Kirghizstan et a fini par fermer sa frontière en raison du manque de capacités pour en accueillir davantage. «Nous accepterons seulement les gens qui ont besoin d'une assistance médicale», a précisé le vice-premier ministre ouzbek. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, 80 000 personnes ont fui le Kirghizstan pour se réfugier en Ouzbékistan et 15 000 autres sont bloquées à la frontière entre les deux pays.


Haut