Depuis la France où il s'est réfugié, Bah Oury, élève la voix. Cette personnalité politique influente de l'opposition guinéenne appelle la communauté internationale à intervenir pour contenir les "dérives totalitaires" du président Alpha Condé depuis son élection controversée (plus de quatre mois entre les deux tours de scrutin), en novembre 2010.
Numéro deux de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), formation représentative au sein de la puissante communauté peule de Guinée, Bah Oury estime n'être que l'une des nombreuses victimes du nouveau régime. La justice guinéenne a émis un mandat d'arrêt international à son encontre (mandat non repris par Interpol) pour "association de malfaiteurs, détention de drogue et atteinte à la sureté de l'Etat". Ces accusations font suite à une mystérieuse et maladroite attaque menée dans la nuit du 19 juillet 2011 par un petit groupe de militaires contre le domicile du président Condé à Conakry, située à moins de 10 minutes d'une base militaire.
Sans qu'aucun élément à charge n'ait été produit, Bah Oury, considéré comme un "dur" de l'UFDG en comparaison avec le chef du parti, Cellou Dalein Diallo, plus consensuel, a été accusé par le chef de l'Etat, mi-septembre, d'avoir inspiré ce coup de force, aux côtés d'un homme d'affaire peul, El Hadj Sada Kadji, et de Tibou Camara, ancien secrétaire général de la présidence au temps de la transition militaire du général Sékouba Konaté (2009-2010).
UNE GOUVERNANCE "AUTORITAIRE ET ETHNIQUE"
Alpha Condé a également accusé, sans plus de preuves, le Sénégal et la Gambie de complicité. "Depuis plusieurs semaines des rumeurs couraient la ville selon lesquelles j'allais être impliqué dans un coup d'Etat", rappelle Bah Oury, qui dément formellement les accusations portées à son encontre. Le lendemain de l'attaque, aux premières heures du jour, des civils armés se rendaient à la résidence du dirigeant de l'UFDG, qui, averti, avait déjà pris le large vers le Sénégal, tout d'abord, puis la France où réside une partie de sa famille.
"Ce pseudo-attentat a permis à Alpha [Condé] de neutraliser des officiers qui auraient pu être récalcitrants", analyse-t-il. Une quarantaine de personnes, civils ou militaires, parmi lesquels plusieurs généraux proches de Sékouba Konaté, ont ainsi été arrêtés mais "jusqu'à présent, les tribunaux n'ont pas pu confondre les prévenus", s'étonne Bah Oury.
A ses yeux, cet événement est caractéristique de la façon de gouverner - sur un mode "autoritaire et ethnique, au profit de sa communauté, les Malinké" - du président Condé (72 ans le 4 mars), ancien opposant à tous les régimes dictatoriaux ou juntes militaires qui, jusqu'à son élection en 2010, ont accaparé le pouvoir depuis l'indépendance de l'ancienne colonie française, en 1958.
LES RISQUES DE "SOMBRER DANS LA VIOLENCE"
Bah Oury note, ainsi, le peu d'empressement du président Condé à organiser des législatives qu'il avait promis de convoquer dans les six mois suivant son élection. "Aujourd'hui, une élection libre et transparente est impossible", affirme Bah Oury. En appui de sa démonstration, il dénonce l'intimidation d'opposants, le limogeage de conseils communaux (chevilles ouvrières pour l'organisation des législatives) changés au profit d'hommes fidèles au président, une commission électorale inféodée, des fichiers électoraux initialement conçus par la société française Sagem et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) mais revus "sur la demande du président par la société sud-africaine Wymark".
En 2011, Alpha Condé avait bâti sa victoire à la présidentielle en titillant dangereusement, durant la campagne, les sentiments et stéréotypes anti-peuls existants en Guinée dans les autres communautés (Malinké, Soussou, Guerzé…). Selon Bah Oury, l'alternative est que "la Cédéao [organisation régionale d'Afrique de l'Ouest] ou les Nations unies organisent le scrutin législatif ". "Sinon, prévient-il, le pays risque de sombrer dans la violence et les luttes interethniques qui déstabiliseront toute la sous-région". "Les Guinéens ont tout essayé ces dernières années : mobilisation sociales massives, élections, manifestations pacifiques. En vain. Certains pourraient maintenant être tentés de croire que la seule solution tient dans le recours à la lutte armée".