Alors que Téhéran reprend vendredi ses discussions avec l'Occident sur le nucléaire, le pouvoir durcit son contrôle social.
Aux quatre coins du pays, les sentinelles veillent sur la jeunesse rebelle. «Dans les universités, de plus en plus de miliciens bassidjis assistent aux cours, sans avoir à passer les examens», peste Mohsen, un étudiant, qui pointe une autre dérive : ces va-nu-pieds à la solde de la République islamique ont pris en main la sécurité de chaque établissement, en lieu et place de la police.
Reliés directement au guide et numéro un du régime, Ali Khamenei, les bassidjis sont la force montante du pouvoir, après avoir été en première ligne dans la répression des manifestations qui ont suivi l'élection truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République en juin 2009. Depuis, pour survivre, l'Iran s'enfonce dans la dictature policière. Aux côtés des bassidjis, les services de renseignements (Vevak) dominent la scène, y compris dans les ministères, et jusqu'au dispositif de protection des scientifiques impliqués dans les activités nucléaires (l'Ogab) qui vient de revenir dans le giron du Vevak.
Grâce à ce maillage serré, le contrôle de la rue s'est durci. La presse réformatrice a été muselée. L'opposition est sans voix. Quant aux défenseurs des droits de l'homme, la plupart sont sous les verrous. Mais au-delà de la chape de plomb qui s'abat sur la société, c'est le système institutionnel, qui a été modifié en profondeur. «Il n'y a plus comme avant une multitude de centres de pouvoirs qui se marquaient, constate un diplomate. L'Assemblée des experts et le Conseil de discernement, par exemple, ont perdu de leur influence.» Les pôles qui subsistent tournent autour du guide, du président de la République, de la nébuleuse sécuritaire, et enfin des gardiens de la révolution, que le régime «mouille» dans de juteuses affaires pour qu'ils ne soient pas tentés de le lâcher.
Dans les provinces, le pouvoir obscur d'Ahmadinejad s'appuie sur les gouverneurs, qui dépendent du ministère de l'Intérieur, qui lui est proche. Mais le président populiste y a également nommé un représentant des gardiens de la révolution, dont la mission générale a été revue. Pour contrer toute menace intérieure ou aux frontières, les pasdarans se transforment peu à peu en une force d'intervention rapide, plus légère.
Dans les bastions conservateurs que constituent les campagnes, le troisième homme fort est le représentant du guide, qui a, lui aussi, renouvelé ses apparatchiks. À défaut d'être forcément unis, tous composent les nouveaux centurions du régime. «Ils ont été choisis pour leur fidélité extrême, ce sont les plus durs des partisans d'Ahmadinejad et du guide», regrette un homme d'affaires, qui souligne la psychose qui s'est emparée, depuis dix-huit mois, des hautes sphères du régime: «Tout le monde se méfie de tout le monde. Les dirigeants se savent infiltrés.»
Mais où sont passés les mollahs dans cette nouvelle architecture du pouvoir? Le nombre des représentants du clergé - l'un des principaux piliers de la République islamique - n'a jamais été aussi faible au Parlement. «L'Iran n'est quasiment plus un pays religieux», note un autre diplomate occidental, qui insiste sur cette seconde transformation en profondeur de l'Iran d'Ahmadinejad, le laïc.
Un nationalisme religieux
Fin tacticien, ce dernier n'ignore pas que ses compatriotes sont nationalistes, avant d'être mystiques ou pratiquants. Pour redorer son blason, ces derniers mois, il a laissé son âme damnée, Rahim Mashaeï, un de ses vice-présidents, recentrer son discours autour du «nationalisme religieux» qu'incarnerait un parti politique encore à créer. Curieux mélange de caporalisme et de mysticisme qui soutient que «le vrai islam est l'islam iranien». «C'est un choix politique qui déplaît à la hiérarchie religieuse, car c'est une notion opposée à l'exportation de la révolution, mais cela peut séduire des Iraniens», note le professeur Hamidas Bavand. D'aucuns pensent qu'Ahmadinejad, inéligible à la présidentielle de 2013, prépare en fait le terrain pour son «dévot éclairé» Mashaeï.
Mais au sein du camp conservateur, sa soif de pouvoir est, plus que jamais, combattue par le président du Parlement, Ali Larijani. Entre eux, la guerre est totale. Ils ne se parlent plus. Fort de l'appui du Parlement, et avec son frère à la tête d'une justice très impliquée dans la répression, Larijani ne cesse d'entraver l'action du gouvernement d'Ahmadinejad, en pratiquant la surenchère. C'est lui qui a poussé le guide à s'opposer à l'accord sur le nucléaire concocté fin 2009 avec l'Occident. C'est encore lui qui s'apprête à faire voter par le Majlis la rupture des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne.