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La journée type d'un gardien de prison : "On n'a pas le temps"

Le Monde , le 5 mai 2009

Les gardiens de prison, qui n'ont pas le droit de grève, ont entamé, lundi 4 mai, un mouvement de blocage des établissements pénitentiaires pour protester contre leurs conditions de travail. Soumis à un devoir de réserve, ils n'ont pas le droit non plus de s'exprimer publiquement. A la suite de son témoignage laissé sur Le Monde.fr, nous avons contacté Emmanuel, 39 ans, surveillant de l'administration pénitentiaire, qui a accepté de raconter une journée de travail type. Voici son récit :

"La plupart du temps, je suis surveillant d'étage. Durant ma vacation de six heures, je suis responsable de quatre-vingt-dix détenus, répartis dans une trentaine de cellules, ce qui est extrêmement limite. Je n'en vois certains que pour le comptage, à mon arrivée et à mon départ : ça consiste à ouvrir chaque cellule, vérifier que ses occupants sont présents et bien en vie, puis à refermer. A 7 h 15, je distribue le petit-déjeuner : café, lait, beurre et confiture. Les détenus sont censés avoir gardé du pain de la veille, puisque nous n'en distribuons qu'une fois par jour, à 10 heures. Le déjeuner est lui distribué à 11 h 30.

Entre-temps, on ouvre les cellules pour envoyer les détenus en promenade, aux parloirs avec la famille ou l'avocat, chez le coiffeur, à la musculation, et dans les services médicaux (infirmerie, psychologues...). C'est très médicalisé, parce qu'au moins un tiers des détenus ont des problèmes psychiatriques, ce à quoi nous ne sommes pas du tout formés. En parallèle de toutes ces tâches, j'envoie les détenus à la douche, trois par trois, puisqu'il y a trois douches, et je les y enferme. Quand ils ont terminé, je suis parfois occupé ailleurs, alors je les fais patienter. Le code de procédure préconise trois douches par semaine, mais quand ils ont parloir ce jour-là, on essaie de leur permettre d'y aller. On reste humain, mais dans la limite du possible. Il y a des demandes qu'on ne peut satisfaire. Par exemple, un détenu n'a pas reçu une commande dans le cadre de  la "cantine", qui permet d'acheter nourriture, nécessaire de toilette, etc. Ça peut me prendre jusqu'à 15 minutes, de vérifier son bon de commande, me renseigner... Pour moi, ce n'est pas une urgence, mais pour lui, si. Un refus provoque des tensions.

Je dois aussi effectuer des fouilles de cellules, en général, deux par vacation de six heures, afin que chacune soit vérifiée toutes les deux semaines environ. Il faut une demi-heure pour faire ça bien, tellement elles sont remplies. Mais on ne peut pas y consacrer plus de 5 à 10 minutes, donc on ne trouve rien...

A une époque, on avait jusqu'à cent vingt détenus par surveillant. Aujourd'hui, chez nous, le maximum est de quatre-vingt-quinze. Mais le problème est qu'on a de nouvelles missions, sans effectifs supplémentaires. La surcharge de travail est plus importante qu'à mon arrivée dans la profession, en 2005. Depuis que Rachida Dati s'est rendue à Reims après le suicide d'un détenu, on nous demande d'aller voir les détenus fragiles toutes les 15 minutes, et s'il y a un pépin, on risque des sanctions. L'administration est la championne de l'ouverture de parapluie...

"MÊME PAS CINQ MINUTES POUR REMONTER LE MORAL"

S'ajoutent les régles pénitentaires européennes, que nous sommes censés mettre en œuvre depuis 2007. Elles recommandent des cellules individuelles et la séparation des prévenus [en attente de jugement] et des condamnés. Mais elles ne sont pas effectives dans notre maison d'arrêt, il y a en moyenne trois détenus par cellule : ceux qui n'ont pas encore été jugés et les condamnés sont parfois ensemble. La situation est très différente de celle des centres de détention [aussi appelés "centrales"] , pour les détenus qui purgent des peines plus longues. En application de ces règles, des cabines téléphoniques ont été récemment installées pour les condamnés. Mais aucun effectif n'a été ajouté. C'est donc à moi de les y conduire.

Voilà tout ce que je dois faire en six heures, sans compter le relais avec mon collègue. La mission que nous a confiée l'administration pénitentiaire, c'est la garde et la réinsertion. Cet aspect est important. Ça consiste au moins à dialoguer, expliquer nos décisions, par exemple si on refuse une douche supplémentaire à un détenu. Mais on n'a pas le temps, alors on dit juste "non". On devrait pouvoir répondre aux détenus qui veulent des explications sur les mesures d'individualisation de la peine – autorisation de sortie, bracelet électronique... Mais on n'a même pas cinq minutes pour remonter le moral à un détenu qui a reçu une mauvaise nouvelle de sa famille...

A tout cela, s'ajoute la récente décision de renforcer les contrôles pour les surveillants en arrêt-maladie. C'est un manque de confiance et de respect. Déjà qu'en arrêt les primes sont déduites de notre salaire, qui tourne autour de 1 500 euros net avec l'ancienneté... Du coup, on va souvent travailler malades, ce qui est mauvais pour tout le monde.

J'espère que ce témoignagne pourra aider à améliorer l'image de notre métier. C'est très différent de ce qu'on voit dans les séries américaines, les gardiens qui matraquent... En France, le surveillant d'étage n'est pas armé. Et je tiens à rappeler que notre mouvement actuel, c'est seulement pour obtenir de meilleures conditions de travail."

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Le bâton en réponse aux matons

Libération, le 05 mai 2009

Prison. Les barrages ont été violemment réprimés hier.

Ils ne s'attendaient pas à ça : «Lacrymo et coups de matraque, c'est la réponse de la direction de l'administration pénitentiaire aux surveillants», grogne un manifestant à l'entrée de la prison de Fresnes (Val-de-Marne). Avant d'arriver ici, il était hier matin, dès 6 heures, devant Fleury-Mérogis (Essonne), et s'est pris «un bon coup de bâton sur la tête», qu'il se frotte encore douloureusement. Aux portes de ces deux très gros établissements pénitentiaires de la région parisienne, la police a chargé plusieurs fois les barrages de surveillants qui bloquaient les accès. «C'est violent et inadapté, mais c'est malheureusement une bonne métaphore du dialogue social dans la pénitentiaire, commente Jean-François Forget, secrétaire général de l'Ufap. Avec ce type de réponse, le ministère de la Justice ne fait que renforcer notre détermination.»

Pour la première journée de mobilisation, hier, le mouvement des gardiens de prison a, d'après les trois organisations de l'entente syndicale (Ufap, FO et CGT), réuni «plus de 4 000 personnels devant 120 des 194 établissements». Sachant que les surveillants n'ont pas le droit de grève, et ne peuvent donc manifester que sur leurs congés ou heures de récupération, le chiffre est important.

Fait notable également : c'est la première fois que l'ensemble des trois principales organisations syndicales se mettent d'accord pour une action centrée non pas sur des revendications statutaires ou indemnitaires, mais sur la crise des prisons dans son ensemble. Déterminés à dénoncer les conséquences terribles de la surpopulation (63 351 détenus pour 52 000 places) tant sur les prisonniers que sur ceux qui les gardent, les manifestants réclament avant tout une hausse de leurs effectifs.

Or la chancellerie, qui les a reçus jeudi dernier, n'a cédé que sur des points certes non négligeables mais connexes : promesse d'une suppression des rondes de nuit toutes les deux heures, arrêt des instructions passées pour mieux contrôler les agents en arrêt maladie, moratoire sur l'application des nouvelles règles pénitentiaires européennes.

Une réunion est prévue ce matin à la chancellerie pour, dit le ministère, «fixer les modalités de mise en œuvre» de ces promesses. «Si c'est juste pour ça, ça ne va pas bien se passer», prévient Céline Verzeletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire.

Dans un communiqué diffusé hier soir, l'intersyndicale a appelé à «amplifier le mouvement», qui empêche notamment l'entrée de détenus arrivants, où leur sortie pour un procès. Aux portes de Fresnes, hier matin, devant un barrage de cageots en flammes, plusieurs responsables syndicaux évoquaient la possibilité, théoriquement interdite par leur statut, de «déposer les clés» : «Si leur ligne, c'est de durcir le ton, nous aussi on va durcir le ton.»


   

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