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Business macabre : la vente d'organes de prisonniers exécutés

Ensemble Contre la Peine de Mort , le 2 janvier 2007

Depuis plusieurs années, des journaux et ONG dénoncent le trafic d'organes de prisonniers exécutés en Chine. Les témoignages se multiplient, qui semblent montrer que les autorités exécutent en fonction de la «demande» d'organes.

Sous le pont Marco Polo, à l'Ouest de Pékin, un trou est creusé dans le sol. Les prisonniers s'y écroulent quelques secondes après avoir reçu une balle dans la tête. Quand leur cœur s'est arrêté de battre, leur corps est glissé dans un sac, puis enfourné dans une camionnette médicale. Dans le fourgon, qui file en direction de l'hôpital, les instruments sont déjà prêts. Tandis que le foie ou les reins du prisonnier lui sont extirpés à grands coups de bistouri, un patient s'endort lentement à l'hôpital. Il a payé cher pour obtenir rapidement cet organe dont il a besoin pour rester en vie. Souvent sans savoir qu'une autre personne a perdu la sienne pour cela. Les tests de compatibilité entre le «donneur» et le receveur ont été faits avant l'exécution. Il aura suffit d'une balle dans la tête, pour les autorités chinoises, l'essentiel est préservé.

On voudrait ne pas y croire, et pourtant… Les preuves se multiplient et convergent. En Chine, les exécutions de prisonniers deviendraient un véritable «business» pour le gouvernement. Alors que partout dans les pays occidentaux, les organes humains manquent pour sauver des patients, la Chine, elle, n'hésite pas à faire recette en vendant les organes des prisonniers exécutés. Le scandale est connu depuis plusieurs années. Le récit qui précède se base sur les révélations d'un ancien policier chinois, Sun Liyong, prisonnier pendant sept ans pour avoir trop parlé, et aujourd'hui en exil en Australie. Mais avant lui, en 1994, l'association Human Rights Watch publiait déjà un rapport sur le sujet. Elle reprenait des documents classés secrets par le gouvernement chinois, mais récupérés par Amnesty International, et qui évoquaient déjà le prélèvement d'organes sur les corps de prisonniers exécutés au début des années 1980.

Depuis, beaucoup de témoignages sont venus s'ajouter. En 1998, le Parlement européen dénonçait par une résolution la transplantation d'organes de condamnés à mort, en se basant sur le rapport de l'organisation China Watch. Les parlementaires européens se disaient alors « profondément bouleversés » par le commerce d'organe auquel se livrait l'armée populaire chinoise. Il aura pourtant fallu attendre 2006 pour que l'information soit relayée dans la presse internationale.

Foies et reins en vente sur le web

C'est notamment grâce à la Société britannique de transplantation que l'opinion aura été alertée. A force de voir des patients en attente de don d'organe s'envoler pour la Chine, les chirurgiens britanniques se sont posé des questions. En quelques «clics» sur Internet, ils ont découvert qu'en Chine existait un véritable marché des organes : 62 000 dollars le rein, 150 000 dollars le poumon, ou encore 30 000 dollars pour une cornée. Qui dit mieux ?

Surpris par la rapidité avec laquelle ses patients parvenaient à se «fournir» en organes en Chine, la Société britannique de transplantation a poussé son enquête. Selon elle, les dates d'exécutions de prisonniers chinois seraient choisies en fonction des demandes d'organes. Les transplantations doivent en effet être faites dans les 12 heures pour un foie, et dans les 36 heures pour un rein, notamment.

Leur découverte a été corroborée par d'autres témoignages, et d'autres enquêtes. En juin 2006, deux Canadiens, le député David Kilgour et l'avocat des droits de l'Homme David Matas publiaient un rapport dans lequel ils dénonçaient le prélèvement d'organes sur les prisonniers membres du mouvement d'opposition du Falun Gong. Selon eux, depuis 1999, date du début de la répression contre le Falun Gong, il y aurait eu plus de 40 000 cas de transplantations pour lesquels il n'était pas possible d'avoir des informations sur les donneurs. Pour eux, il ne peut donc pas s'agir d'un simple «don» d'organe.

Les autorités chinoises ont bien tenté, un temps, de démentir en prétextant que les «donneurs» étaient consentants. Mais ils ont été démentis. Le Dr Chen Zonhhua, chirurgien spécialiste des transplantations dans la province du Hunan, a décidé de briser le silence en révélant que la transplantation d'organes était «systématique» chez les prisonniers exécutés. «Personne ne s'en soucie, tout le monde ferme les yeux et personne ne s'inquiète des questions morales soulevées par cette pratique courante», a dénoncé le Dr Chen au quotidien hongkongais South China Morning Post. Le chirurgien ajoutait alors que dans la pratique, il n'avait connu qu'une vingtaine de cas pour lesquels l'accord de la famille avait été obtenu.

Or à la suite de pressions répétées, les autorités chinoises ont finalement cédé. Lors d'une conférence sur les transplantations d'organes, en novembre 2006, le vice-ministre de la Santé, Huang Jiefu, a reconnu que «en dehors d'une faible proportion liée au trafic, la plupart des organes prélevés le sont sur les cadavres de prisonniers exécutés». A ces propos, relevés par le China Daily, il ajoutait : «Les autorités compétentes requièrent fortement le consentement des prisonniers ou de leurs familles pour le don d'organe».

Le « business » avant tout

En Chine, la loi interdit la commercialisation d'organes humains. Lorsque la transplantation d'organes de prisonniers exécutés a été connue, les autorités chinoises ont annoncé qu'elles allaient renforcer leur législation. Elles ont reconnu qu'il y avait bien un problème en Chine, mais que la faute revenait à quelques chirurgiens peu scrupuleux. Dans une série d'articles qu'il a consacré au sujet, le journal Epoch Times, créé en 2000 par des opposants chinois en exil, a pourtant indiqué que la plupart des transplantations d'organes se faisaient dans les hôpitaux militaires, contrôlées par le gouvernement. Or si la Chine a bien adopté une loin le 1er juillet 2006 qui renforce l'interdiction de commercialisation d'organes humains, celle-ci ne s'applique pas aux hôpitaux militaires.

Il y a donc beaucoup de chances pour que les prélèvements d'organes continuent. En 2005, selon les statistiques professionnelles, les chirurgiens chinois auraient transplanté 3741 foies, 8103 reins, et 80 cœurs. Mais qu'en sait-on vraiment ? D'après un spécialiste de la Chine qui souhaite garder l'anonymat, «on ne sait absolument rien à ce sujet, on ne sait absolument pas comment est organisé le système. Mais il faut se méfier. Car si certains disent que le don d'organe n'est pas inscrit dans la culture chinoise, il existe aujourd'hui des associations qui s'en occupent, et le don d'organe est rentré dans les mœurs». Le secret qui entoure les exécutions en Chine rend très difficile l'accès à des informations fiables sur les transplantations.

Marie Holzman, sinologue qui s'est vue interdire l'accès au sol chinois, reçoit souvent des amis venus de Chine. Lors d'une rencontre entre l'un de ses amis et Robert Badinter, qui a défendu l'abolition de la peine de mort en France, elle a assisté à un échange pour le moins surprenant. S'étonnant des réticences des Chinois à abolir la peine capitale, le célèbre avocat Français s'est vu répondre qu'aujourd'hui, il y avait aussi «le problème des transplantations d'organes».

Autrement dit, la transplantation des organes des condamnés s'est révélée si lucrative qu'elle constitue désormais un obstacle de plus à l'abolition de la peine capitale.

Prélèvements d'organes : des preuves

L'accusation de trafic d'organes de membres du Falun Gong résulte d'une enquête de 2007

L'Est Républicain, le 9 jullet 2007

Le 31 janvier 2007, David Kilgour et David Matas, respectivement ex-secrétaire d'Etat canadien et avocat spécialisé dans les droits de l'homme, concluent dans un long rapport : « Depuis 1999, le gouvernement chinois et ses organismes, dans de nombreuses régions du pays, en particulier dans des hôpitaux, mais également dans des centres de détention, ont mis à mort un grand nombre de prisonniers de conscience du Falun Gong. Leurs organes vitaux ont été prélevés en même temps, sans leur consentement, et vendus à des prix très élevés à des étrangers qui, normalement doivent attendre très longtemps des donneurs dans leur pays d'origine ».

Plus loin, ils écrivent : « Chaque preuve que nous avons prise en compte est en soi vérifiable et, dans la plupart des cas, incontestable. Mises bout à bout, ces preuves dépeignent une vue d'ensemble terrifiante ».

Les indices de prélèvements sur des membres du Falun Gong exécutés sont à rechercher sur les sites internet de certains hôpitaux chinois. Un hôpital de Shanghai se vantait ainsi que « le temps d'attente pour une greffe de foie n'excède pas une semaine, pour tous les patients ». Cette publicité a disparu. Selon le rapport Kilgour-Matas, le nombre d'organes disponibles a explosé, en Chine, depuis 1999, année du début de la répression anti-Falun Gong. De 9 greffes de foie recensées en 1998, on est passé à 1.601, officiellement répertoriées en 2004. Un seul exemple parmi d'autres et qui ne semble pas tenir seulement aux progrès de la médecine. Des témoignages ont également été recueillis lors de congrès médicaux auxquels assistaient des chirurgiens chinois.

La Chine interdit le prélèvement d'organe sur des prisonniers exécutés

AFP, le 2 janvier 2015

Ce 1er janvier 2015, la Chine a officiellement mis fin à une pratique décriée par de nombreuses ONG de défense des droits de l’Homme : les hôpitaux ont reçu l’ordre de cesser les prélèvements d'organe sur des prisonniers exécutés. Jusqu'alors, ils avaient recours aux détenus mis à mort et aux prisonniers décédés pour permettre des greffes.

Actuellement lorsqu'on réalise une greffe en Chine, l'organe a été prélevé sur un prisonnier dans deux cas sur trois selon des estimations officielles. Et l’on ne peut pas proprement parler de « dons d’organes » puisque, même si les autorités le nient, la plupart de ces prélèvements se font dans la plus grande opacité, sans l’autorisation de la personne même ou de ses proches.

Selon le quotidien China Daily, l’utilisation des organes de détenus est la règle pour répondre à une très forte demande. 300.000 patients auraient besoin, chaque année, d’un rein ou d’un cœur. Mais seulement 10.000 transplantations peuvent avoir lieu. Cela est notamment dû au manque criant de donateurs, affirme Huang Jiefu, le chef du Comité chinois du don d’organe.

Le don d'organe, contraire aux traditions

Les Chinois rechignent à se porter volontaires pour deux raisons. La première est peut-être la plus importante : la tradition chinoise veut que le corps reste intact avant d’être enterré. Très rares sont alors les familles qui acceptent le prélèvement lorsqu’un proche meurt. Et tous les efforts du gouvernement expliquant qu’un don d’organe peut sauver une vie n’ont pas changé les mœurs.

Mais il y a une autre raison : les Chinois ont peur d’alimenter le marché noir. Une crainte justifiée, car même les journaux officiels comme China Daily affirment que des hôpitaux publics sont impliqués dans le trafic d’organes.

90% des organes prélevés sur des défunts viennent de prisonniers

Ceci explique donc cela : sur 10 millions de Chinois, seulement 6 sont prêts à devenir donneur. Selon le comité chinois du don d’organe, ce ratio est 62 fois plus élevé par exemple en Espagne. Et parmi les organes prélevés sur des défunts (ce qui représente 65% des dons d’organe), 90% viennent des prisonniers condamnés à mort.

La Chine est le pays qui exécute le plus de condamnés dans le monde. Mais Pékin ne publie aucun bilan officiel. On dépend donc des organisations non-gouvernementales pour savoir combien d'exécutions ont eu lieu : l’ONG Dui Hua qui est basée aux Etats-Unis estime que la peine de mort a été appliquée à 2.400 prisonniers l’an dernier.

Désormais ces prisonniers ne devraient plus être victimes de prélèvements d’organes forcés mais il faut savoir que ce n’est pas la première fois que les autorités promettent d’abolir cette pratique, pour le moins douteuse.