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Reuters, le 9 août 2011
KASHGAR, Chine (Reuters) - Oboul Kassim, commerçant ouïghour de Kashgar, ne se remet pas de sa confrontation avec un gouvernement inflexible depuis qu'il a échoué à sauver des bulldozers sa maison de pisé, construite il y a cent ans.
Il fait partie des nombreuses victimes du renouveau urbain en marche le long de la Route de la soie.
Lorsqu'il a refusé en 2004 de quitter sa maison de Kashgar, au Xinjiang (extrême ouest chinois), la police l'a menotté et conduit au commissariat le plus proche.
En 2005 et 2007, il a fait le voyage jusqu'à Pékin pour obtenir une meilleure compensation que celle qu'il avait reçue et qu'il considérait comme insuffisante. A chaque fois, il a été rattrapé par les autorités provinciales.
La revendication de Kassim est certainement la plus répandue en Chine, mais elle prend une autre dimension au Xinjiang, où les démolitions sont vues comme des tentatives d'éliminer l'identité ouïghoure.
Le Xinjiang, qui représente un sixième du territoire chinois, abrite environ huit millions de Ouïghours, communauté musulmane turcophone dont de nombreux membres se sentent spoliés par la présence croissante de Chinois de l'ethnie des Han.
"A chaque fois que je pense à mes problèmes de logement, je suis tellement furieux, je ne peux pas rester là à rien faire", dit Kassim, les yeux révulsés. "Aucune administration ne m'a écouté. Mon père était si révolté qu'il a succombé à une crise cardiaque."
COMPENSATIONS INSUFFISANTES
Kasim vend des chéchias brodées - calotte portée par certains peuples musulmans - près de la mosquée Id Kah, dans le centre de Kashgar. Il assure qu'il retournera à Pékin dès la fin du mois sacré du ramadan, même s'il n'espère plus grand-chose.
Le gouvernement local lui a offert une compensation de 470 yuans (51 euros) par mètre carré pour sa maison de 510 m2, alors que les appartements modernes environnants se vendent 30.000 yuans le mètre carré (3.300 euros).
"Une grande partie de la colère populaire a pour origine la confiscation des terres et des propriétés", assure Tom Cliff, un étudiant australien qui a passé plus de trois ans au Xinjiang.
"Beaucoup de Ouïghours se voient dépossédés de leur terre, avec en contrepartie des compensations insuffisantes et aucune possibilité de déposer un recours en justice."
Gopouk Hadji, docteur en médecine traditionnelle âgé de 97 ans, affirme que le gouvernement lui a attribué une maison de 80 mètres carrés alors que son ancien domicile de pisé en faisait 100. Il a refusé la compensation de 9.600 yuans (1.050 euros) qui lui était proposée.
"Un véritable parti communiste doit venir en aide au peuple", dit-il. "Ce parti communiste là est une pâle copie. Ses membres s'en mettent plein les poches."
VIEILLE VILLE RASÉE
Les destructions se poursuivent à un rythme effréné dans la région plate et sèche qui entoure Kashgar. Située sur la route historique de la soie, qui relie la Chine à l'Europe, cette zone a été désignée "zone économique spéciale".
Des amas de terre et de brique jonchent les quartiers résidentiels, des ouvriers posent les premières pierres d'immeubles d'appartements, modernes et tristes. Les maisons en adobe aux larges portes en bois étaient jadis considérées comme le meilleur exemple de l'architecture d'Asie centrale.
Ignorant les protestations des défenseurs du patrimoine, le gouvernement chinois a rasé la majorité de la vieille ville de Kashgar en 2008, détruisant 80% des maisons de brique et de terre cuite afin de bâtir des logements "pouvant résister au risque sismique".
Les tensions au Xinjiang et les soulèvements de la minorité ouïghoure figurent parmi les plus grands défis du Parti communiste chinois. En juillet 2009, des tensions ont dégénéré en affrontements violents entre Hans chinois et Ouïghours, faisant près de 200 morts dans la capitale régionale, Urumqi.
Pour les Ouïghours, les Tibétains, et plus récemment les Mongols, l'enrichissement de la Chine n'a pas étouffé le désir d'accéder à une véritable autonomie.
"L'une des leçons à retenir des tensions au Xinjiang est que la poursuite de la croissance économique à tout crin n'offre pas de solution aux problèmes sociaux", estime Nicholas Becquelin, spécialiste de la Chine à l'organisation Human Rights Watch.
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