Libération, le 23 avril 2010
Le projet de loi du ministre de l'Immigration sera bientôt à l'Assemblée. Pour les naturalisations, les préfectures seront au cœur du dispositif.
Eric Besson y voit une «évolution très importante de la politique française d'immigration». Le projet de loi «relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité» qu'il devrait présenter au Parlement dans les prochaines semaines met en place «une procédure d'accès accélérée à la nationalité française pour les ressortissants étrangers qui satisferont déjà manifestement à la condition d'assimilation posée par le code civil». La «durée de présence sur le territoire exigée sera réduite à deux ans», contre quatre aujourd'hui.
Pour le ministre de l'Immigration, dont le projet de loi est très critiqué en ce qu'il durcit encore les conditions d'entrée en France des étrangers, il s'agit d'une avancée. Isabelle Denise, responsable juridique de la Ligue des droits de l'homme (LDH), elle, en doute. Cette disposition l'inquiète, ainsi qu'une autre, qui conditionne l'accès à la nationalité française à l'«adhésion» du demandeur aux «principes et valeurs essentiels de la République». «Cette adhésion sera formalisée par la signature [d'une charte des droits et devoirs du citoyen], au cours de l'entretien d'assimilation conduit en préfecture», précise le projet de loi.
«Entretien d'assimilation conduit en préfecture» ? Cette petite phrase soucie la juriste de la LDH. «Cet entretien se fera-t-il avec une grille de questions ? Sera-t-il cadré afin de ne pas dériver ?» Aujourd'hui, les couples mixtes dont le conjoint étranger sollicite la nationalité française sont déjà convoqués à un entretien en préfecture (lire ci-contre). Objectif : «Apprécier l'assimilation à la langue française et l'adhésion aux valeurs de la République.» Or, les agents chargés de cette évaluation poussent parfois très loin l'interrogatoire : «J'ai vu des personnes totalement déstabilisées par des entretiens aberrants, raconte Isabelle Denise. Une Algérienne s'est vu demander quelle langue elle parlait à la maison, si elle avait plus d'amis algériens que français, combien de fois par semaine elle mangeait du couscous.»
Voile intégral. Ces rendez-vous se déroulant en face à face, et sans témoin, le fonctionnaire peut poser toutes les questions qu'il veut. Et en tirer des conclusions sur le degré d'assimilation de l'intéressé. «On est dans l'arbitraire le plus total», affirme Isabelle Denise. La préfecture transmet ensuite le dossier avec avis favorable ou défavorable, au ministère de l'Immigration, qui tranche. Certains rejets de demandes de naturalisation pour «défaut d'assimilation» ont été largement médiatisés, et politisés. Ainsi, ceux visant un Marocain qui contraignait sa femme à porter le voile intégral ou une Marocaine qui le portait volontairement. D'autres se font en toute discrétion. Les employés de la sous-direction de l'accès à la nationalité française du ministère de l'Immigration voient passer un certain nombre de dossiers.
Or, selon la CFDT, les conditions se durcissent : «Il y avait une bienveillance concernant l'assimilation linguistique des mères de famille étrangères, elle disparaît.» Autre constatation : «Une montée en puissance des rejets pour moralité», accompagnée d'une interdiction de représenter une demande pendant cinq ans. Par «moralité», l'administration entend «être de bonnes vie et mœurs». «Sont notamment vérifiés [sic] les condamnations pénales prononcées en France et à l'étranger, le comportement civique de l'intéressé», précise la préfecture du Pas-de-Calais sur son site internet. Certains étrangers auraient vu leur naturalisation ajournée pour s'être vu infliger… un PV.
«Hétérogénéité». La CFDT s'inquiète également du transfert des dossiers de naturalisation, de la sous-direction de l'accès à la nationalité française, aux préfectures. Depuis janvier, 21 préfectures sur 101, représentant 60 % des demandes, expérimentent cette nouvelle organisation. «On nous dit que la généralisation aura lieu au 1er juillet» signale la CFDT. Mais pour elle, ce transfert de compétences n'est pas une bonne nouvelle. Par rapport au guichet unique par où transitaient tous les dossiers, «le risque majeur est de générer une hétérogénéité des décisions». Par ailleurs, les préfets étant nommés - et démis - par le pouvoir, sont totalement dépendants de son bon vouloir. En clair, si consigne leur est donnée de serrer la vis sur les naturalisations, ils obtempéreront car ils ont beaucoup moins d'indépendance qu'une sous-direction, même rattachée au ministère de l'Immigration.