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A la Bourse du travail, les sans-papiers ne comptent pas lever le camp

Le Monde , le 8 juillet 2009

Le campement s'étend sur quelques dizaines de mètres carrés de trottoir. Le sol est couvert de matelas de part et d'autre d'un maigre passage pour les piétons. Depuis le 24 juin, ils sont près de 400 sans-papiers à occuper le trottoir boulevard du Temple à Paris, à deux pas de la place de la République, juste devant la Bourse du travail – de laquelle ils ont été délogés manu militari par le service d'ordre de la CGT. Soumis à des conditions d'hygiène et de sécurité précaires, leur situation paraît difficilement tenable, mais ils se disent décidés à ne pas bouger avant d'être régularisés.

Après quatorze mois à occuper la Bourse du travail, rue Charlot, ils n'imaginent pas se séparer. "Si les syndicalistes restaient chacun chez eux et revendiquaient seuls, qu'est-ce qu'ils obtiendraient ?" , fait mine de se demander Djibril Diaby, un des porte-parole du mouvement. Ce n'est pas un problème de logement qui a poussé ces sans-papiers à installer ce campement : la quasi totalité des présents possède un toit ou un endroit où dormir, chez un proche, avec des amis ou dans un foyer. Mais tous ont cette impression diffuse de ne pas pouvoir faire autrement. Qu'ils ne seront pas régularisés s'ils se présentent seuls face à l'administration. "Après tout ce temps passé ici, c'est trop tard pour repartir à zéro, explique Maka, arrivé du Mali il y a sept ans . On n'a pas le choix."

Il y a aussi et surtout une grande peur : celle de s'éloigner et de retrouver le camp évacué une fois revenu. Ou pire, de voir que les autres ont été régularisés et que l'on a raté le bon moment. "Je ne vais me doucher qu'une fois tous les quatre ou cinq jours" , explique Moussa qui est là depuis le début du mouvement. "Et je ne traîne pas chez moi. Imaginez qu'ils régularisent les autres pendant que je ne suis pas là !" Tous les jours, ils "pointent" auprès des responsables de la coordination pour montrer qu'ils sont toujours là, comme si le lieu déterminait l'accès aux papiers. Après quatorze mois de mouvement, seuls quelques dizaines ont été régularisés.

SOUS LA PLUIE

La situation rappelle l'occupation de l'église Saint-Ambroise en mars 1996 qui avait ensuite abouti au mouvement des sans-papiers de l'église Saint-Bernard. "Le bruit avait couru que ceux qui seraient là, et seulement eux, seraient régularisés" , se souvient une femme venue en soutien. Certains nouveaux sont d'ailleurs venus se greffer au mouvement depuis la médiatisation de l'expulsion par la CGT.

De fait, la situation des sans-papiers paraît bloquée : "Ce sont des cas difficiles" , explique-t-on du côté de la préfecture. C'est-à-dire des gens qui ont été employés sans être déclarés pendant plusieurs années et qui n'entrent pas – ou plus – dans les critères d'attribution de titres de séjours. Pourtant, leurs histoires ressemblent à s'y méprendre à celles de travailleurs sans-papiers régularisés en 2008. Beaucoup d'entre eux sont là depuis six à neuf ans. Souvent, ils ont payé des impôts sous leur vrai nom, mais avec de faux papiers. "Ce qui suffit pour payer des cotisations, mais pas pour en percevoir les bénéfices" , explique l'un d'eux.

Dans le campement, la fatigue se fait sentir. La pluie a fait baisser la température mais complique encore un peu plus la situation. Des bâches ont été accrochées aux grilles de la Bourse du travail, qui reste inoccupée. Mais elles ne suffisent pas à protéger tout le campement et les matelas. "Le jour où nous sommes régularisés, tout le monde rentrera chez soi , répète Djibril Diaby . Avant ça, on ne bougera pas d'ici."

 

   
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