Douze corps décapités retrouvés au sud du Mexique. - 22 déc. 2008 Ciudad Juarez, ville frontière d'une extrême violence - 7 juin 2008 |
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Les cartels de la drogue mexicains se diversifient AP, le 18 août 2009 |
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A Ciudad Hidalgo, les commerçants récitent les yeux fermés la liste des "tarifs" du racket que leur inflige le cartel de La Familia: 100 pesos par mois pour un étal sur le marché, 30.000 pour une société de construction ou un concessionnaire auto... Ceux qui rechignent à payer ont droit à un passage à tabac en guise d'avertissement. Et ceux qui s'obstinent peuvent y rester. "Tous les jours vous voyez des gens qu'ils ont tabassés partir pour l'hôpital", raconte le mécanicien auto Jésus Hernandez. Alors que les bénéfices hier confortables de la cocaïne chutent et que la guerre contre la drogue bat son plein, les gangs se diversifient, se lançant dans d'autres activités parfois plus faciles et rentables que la drogue. Cette expansion a des conséquences majeures: le crime organisé s'insère de manière inextricable dans la société mexicaine et devient encore plus difficile à combattre. Car les cartels fournissent emplois et services sociaux là où le gouvernement est défaillant. "Aujourd'hui, les trafiquants ont des grandes entreprises, de l'éducation, des carrières professionnelles", note Yudit del Rincon, élue de l'Etat de Sinaloa, contrôlé depuis longtemps par le cartel du même nom. "Ils sont hommes d'affaire de l'année, ils dirigent même des fondations caritatives." Dans les villes de Ciudad Hidalgo et Zitacuaro, les maires ont été mis sous les verrous et inculpés pour complicité avec La Familia, cartel qui contrôle de vastes secteurs du centre et de l'ouest du Mexique. A Arteaga, ville de montagne du Michoacan, Servando Gomez Martinez, le "parrain" de La Familia, est adulé: il finance la cité, distribuant de l'argent pour la nourriture, les vêtements et même les soins médicaux. "C'est un homme de la campagne comme nous, qui porte des huaraches", dit de l'homme le plus recherché du Mexique un paysan, montrant ses sandales de cuir. "C'est presque comme à Chicago, quand Al Capone dirigeait tout", note un haut responsable de la police américaine, lui aussi sous couvert de l'anonymat. "Ils contrôlent tout, du petit cireur de chaussures au chauffeur de taxi." Les cartels mexicains ont percé dans le trafic de drogue dans les années 80, quand les agents de la DEA, l'agence américaine antidrogue, et le gouvernement colombien partirent en guerre contre les trafiquants colombiens et la route des Caraïbes. La grande majorité de la cocaïne entrant aux Etats-Unis s'est mise à passer par le Mexique. Dans le même temps, la contrebande classique au Mexique s'organisait traditionnellement autour de familles élargies ou de gangs de quartier. Ces cinq ou dix dernières années, les cartels mexicains ont fait émerger des marchés locaux de la drogue et se sont taillés des fiefs locaux, se structurant comme des entreprises, avec des gangs d'hommes de main pour contrôler également leurs activités de commerce illégal. Les enquêteurs fédéraux parlent maintenant de "syndicats du crime organisé" et expliquant que leurs méthodes -comme celle des "taxes" que doit verser celui qui veut faire des affaires sur leur territoire- s'inspirent de celles de la mafia italienne. "Ils se mettent à faire des affaires comme s'ils étaient franchisés, sauf que la violence les caractérise", explique un rapport de la police fédérale. En juin, à Monterrey (nord), des membres du cartel des Zetas ont été arrêtés alors qu'ils se livraient à un nouveau business lucratif: la production et la distribution de DVD pirates, puis le contrôle des vendeurs des rues payant pour leur protection. Toujours à Monterrey, un des principaux lieutenant du cartel du Golfe, Sigifrido Najera Talamantes, dirigeait un réseau d'enlèvements et d'extorsion, tout en trafiquant les migrants et le pétrole détourné des oléoducs de la Pemex, la société pétrolière publique. Arrêté en mars, il prélevait sa dîme sur les passeurs de clandestins, ainsi que sur les vendeurs des rues, et supervisait le trafic de biens volés. Dans l'Etat de Durango, les habitants de Cuencame ont creusé des tranchées autour de leur ville pour se protéger des bandes d'hommes de main des cartels qui faisaient irruption en ville pour y enlever des habitants. Fin 2008, quasiment tous les bookmakers de l'Etat frontalier de Tamaulipas ont fermé à cause des sommes exorbitantes réclamées par les cartels en échange de leur protection. Dans les Etats de Chihuahua et Tamaulipas aussi, nombre de fermetures sont à mettre au compte des cartels. Dans celui de Zacatecas, la distribution de gaz de cuisine a été interrompue plusieurs jours, les conducteurs de camions-citernes refusant d'effectuer leurs tournées de livraison. Elles n'ont repris qu'après le renforcement des patrouilles sur les routes. L'année dernière, les maires de plusieurs villes de l'Etat de Mexico ont reçu des appels menaçants les enjoignant de payer entre 10.000 et 50.000 dollars. Salvador Vergara, maire d'Ixtapan de la Sal, a été abattu en octobre. Les autorités pensent qu'il a refusé de payer et de laisser les gangs opérer dans sa cité. Selon le secrétaire à la Sécurité publique Genaro Garcia Luna, les menaces d'extortion ont grimpé à environ 50.000 en 2008, contre 50 en 2002. Le gouvernement a mis sur pied cette année une base de données pour tenter d'en assurer le suivi et de protéger les commerçants trop effrayés pour porter officiellement plainte. Les résultats du nouveau système étant encore maigres, il a récemment décidé de s'en prendre aux finances des cartels. En avril, le Congrès a adopté une loi autorisant la saisie de propriétés et de comptes appartenant à des narcotrafiquants présumés avant leur condamnation par la justice. Face à cette évolution, les gangs ont mis au point des parades pour éviter les saisies et procéder à des transferts d'argent ultra-rapides, selon la police fédérale. Javier, patron d'un petit magasin de vidéo de Ciudad Hidalgo, a fait l'expérience de l'omniprésence des cartels. Fatigué de la mainmise de La Familia sur sa ville et de la concurrence de ses vendeurs de DVD pirates, il a décidé de tout vendre et de changer d'Etat. Mais à peine avait-il mis sa maison en vente qu'il recevait un coup de téléphone. "Mettre un panneau 'à vendre', c'est comme de leur envoyer une invitation", soupire-t-il. "Ils appellent et disent: 'tu la vends combien? Donne-nous 20%'". |