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Mitrovica, "chaudron" ethnique du Kosovo
Le Monde , le 18 février 2009 MITROVICA ENVOYÉ SPÉCIAL - Un soir de janvier, l'un des plus fameux criminels de Mitrovica Nord - partie de la ville kosovare peuplée par les Serbes - a eu un fils. Pour fêter l'événement, il s'est rendu près du pont central. C'est un lieu historique d'affrontements avec les forces de l'ordre et la communauté albanaise qui vit, elle, au Sud. Sans égard pour les nombreux passants, il a tiré une salve en l'air avec son arme automatique. Le lendemain, à la radio, le chef de la police locale a livré une autre version des faits : un homme transporté de joie s'était amusé avec des pétards. Cette anecdote nous est racontée par un activiste courageux, Momcilo Arlov, qui dirige le Centre pour le développement de la société civile (CCSD). Sa femme était présente au moment des faits. Il s'en est ouvert, ensuite, à des représentants de la KFOR (la force militaire de l'OTAN) et d'Eulex, la nouvelle mission civile européenne chargée de l'application de la loi. "Ils nous ont demandé si on voulait déposer plainte, dit-il. Mais, bordel, ce type sait où on habite ! Pourquoi devrait-on faire le boulot de ces organisations internationales censées nous protéger ?" Mitrovica a une réputation déplorable : celle d'un chaudron ethnique, où les débordements sont les plus spectaculaires du Kosovo. Divisée en deux par la rivière Ibar, la ville abrite au nord les éléments radicaux de la communauté serbe, forts du soutien de leur patrie voisine. Le 17 mars 2008, un mois après l'indépendance, de violents heurts ont opposé les Serbes de Mitrovica aux forces internationales. Ces dernières avaient délogé du tribunal par la force d'anciens employé s serbes qui s'y étaient installés. Un soldat ukrainien a péri ce jour-là. Mais la tempête peut éclater pour un motif bien moindre. Le 30 décembre, plusieurs magasins albanais ont été brûlés après la blessure à l'arme blanche d'un jeune Serbe lors d'une rixe banale. La plaie de Mitrovica n'est pas uniquement la "ségrégation", selon le mot de Momcilo Arlov. C'est aussi l'essor des activités criminelles, notamment de la contrebande d'essence. L'an passé, les postes douaniers au nord de la ville ont été incendiés, ouvrant la voie à tous les trafics. "La situation s'est aggravée dans cette zone depuis l'indépendance , reconnaît Yves de Kermabon , le chef français d'Eulex. Il faut refaire fonctionner les douanes pour éviter que ce soit une gigantesque zone de duty free. Depuis le 9 décembre, on a replaé des fonctionnaires aux postes. On cherche une voie technique pour rétablir les douanes, mais ç a passera par une coopération avec les Serbes." Pour les Serbes, la question est politique. "Il ne peut y avoir de bonnes raisons pour permettre aux Kosovars de planter leur drapeau à cet endroit", résume Olivier Ivanovic, secrétaire d'Etat du ministère serbe pour le Kosovo. Depuis deux semaines, les douaniers notent à nouveau le contenu des marchandises qui transitent dans les deux sens, mais aucune taxe n'est acquittée. Beaucoup de voitures circulent toujours sans plaque d'immatriculation. "Nos pertes sont estimées entre 1,5 et 2 millions d'euros par semaine , avance Blerim Shala, un des leaders du parti d'opposition, l'Alliance pour l'avenir du Kosovo (AAK). Notre gouvernement considère que c'est la responsabilité des organisations internationales. Du coup, la zone est un paradis pour les criminels, liés aux extrémistes serbes." En réalité, l'essence réconcilie les criminels albanais et serbes, selon plusieurs sources. Achetée en Serbie sans paiement de taxes à l'exportation, elle est ensuite acheminée au Kosovo sans droits de douane, puis vendue à un prix inégalé en Europe : 0,75 euro le litre ! Face à ces intérêts criminels, les organisations internationales sont corsetées dans leurs engagements divers, parfois contradictoires. L'Eulex doit rester neutre sur le statut du Kosovo, disent les Serbes ; ses policiers et ses douaniers ne peuvent donc défendre l'intégralité territoriale de l'ancienne province. Quand les militaires français de la KFOR ont récemment encadré des équipes venues expliquer, dans les villages serbes, près de Mitrovica, les modalités de recrutement de la nouvelle police kosovare, ils ont fait face à des manifestants hostiles. Les autorités serbes dites parallèles, à Mitrovica Nord, tiennent un discours radical qui empêche tout dialogue. "Leur nombre n'est pas très important, mais ils disposent d'une puissance financière et politique, note le maire albanais de Mitrovica Sud , Bajram Rexhepi. Ils ont intérêt à l'anarchie et représentent un obstacle au rapprochement entre les communautés." Pieter Feith ne dit pas autre chose. Le représentant spécial de l'Union européenne au Kosovo aimerait que Belgrade contribue davantage à une normalisation et rompe avec les incendiaires. "Certains leaders en contact avec la Serbie intimident la population. Il y a une invitation à la violence , note-t-il. Nous devons nous assurer que cette partie du territoire ne se transforme pas en trou noir." Un des principaux accusés, du côté des nationalistes serbes, nous accueille dans une pizzeria décorée d'icônes orthodoxes. Directeur de l'hôpital de Mitrovica Nord,
Marko Jaksic balaie les critiques au sujet des réseaux criminels. "Propagande occidentale !", assène-t-il. "Le trou noir de l'Europe, c'est le Kosovo, avec ses trafiquants de drogues." Est-il prêt à soutenir l'action des policiers et des magistrats d'Eulex ? "Nous ne collaborerons pas avec Eulex, mais nous ne les dérangerons pas dans leur travail." Le statu quo peut compter sur de chauds partisans. Haut |
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