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Massacre du Caire : l'armée se blinde
Libération, le 14 octobre 2011
Devant une poignée de journalistes, dans une petite pièce surchauffée du journal indépendant Al-Tahrir, les témoins prennent la parole les uns après les autres. Simples citoyens, avocats ou encore médecins, tous ont assisté aux violences de dimanche soir qui ont opposé, au Caire, des manifestants coptes aux forces armées, faisant 25 morts, dont une majorité de chrétiens, et plus de 300 blessés.
Boucherie
L’événement est organisé par les jeunes de la révolution, quelques partis politiques libéraux et plusieurs ONG, en réponse à la conférence de presse tenue la veille par le Conseil suprême des forces armées, à la tête du pays depuis la chute d’Hosni Moubarak.
Vidéos à l’appui, une dizaine de témoins racontent comment une marche pacifique de plusieurs milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, s’est transformée en une atroce boucherie une fois le cortège arrivé devant la télévision d’Etat. «Trois véhicules blindés ont zigzagué à toute vitesse parmi la foule. C’était la scène la plus terrifiante de la révolution», rapporte Lobna Darwish, célèbre activiste. «J’ai vu trois morts, écrasés», renchérit Tamer Mohamed el-Meky, autre témoin. Magda Adly est médecin au centre Nadim, association pour la réhabilitation des victimes de tortures. Elle a assisté à l’autopsie de huit corps. «Ils avaient la rate éclatée, les reins broyés, le bassin fracturé… Ces blessures ne sont pas le résultat d’accidents de voiture ordinaires», explique-t-elle, avant d’ajouter que plusieurs victimes ont eu le corps troué de balles.
«Les enquêteurs ont rédigé un rapport partiel le lendemain, à deux heures de l’après-midi. Pourquoi les pompiers nettoyaient-ils dès huit heures du matin ?» s’insurge Khaled Ali, avocat spécialisé dans les droits de l’homme. Plusieurs témoins assurent en outre avoir vu des soldats jeter des corps dans le Nil.
En face, les militaires récusent en tous points cette version des faits. Mercredi, deux généraux, Adel Emara, adjoint du ministre de la Défense, et Mahmoud Hegazi, se sont exprimés devant un parterre de caméras. Selon eux, les militaires n’ont pas ouvert le feu sur la foule, ni percuté intentionnellement les manifestants avec des véhicules blindés. «Nous n’infligerions pas ça à notre pire ennemi», a affirmé l’un des deux gradés, avant de concéder que, peut-être, un soldat en proie à la panique aurait pu percuter quelqu’un. Les militaires ont ensuite invoqué la légitime défense, arguant que 300 soldats ont dû faire face à des milliers de manifestants pour protéger le bâtiment de la télévision publique. Tout en réaffirmant le respect de l’armée à l’égard de tous les Egyptiens, quelle que soit leur religion, Mahmoud Hegazi a pointé du doigt des prêtres jugés extrémistes, qui inciteraient la population copte à la haine, et une conspiration venue de l’étranger. «Ceux qui ont fait ça ne peuvent pas être égyptiens. Car les Egyptiens ne sont pas capables d’une telle violence», a-t-il poursuivi.
Calendrier
Tirant sur la corde patriotique, les militaires ont aussi appelé les Egyptiens à les soutenir, en leur rappelant la difficulté de faire régner l’ordre dans un pays aussi vaste et populeux. Un argument qui convainc bon nombre d’Egyptiens. Si beaucoup sont de plus en plus critiques à l’égard de l’armée et exigent la mise en place d’un calendrier précis pour rendre le pouvoir aux civils, la majorité reste fidèle aux militaires.
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