"En tant que non-Pachtoune, je ne suis rien. Je n'ai pas la même valeur pour mes chefs qu'un soldat pachtoune", explique un soldat afghan d'ethnie tadjike, dénonçant comme plusieurs de ses camarades la discrimination qui mine la jeune armée afghane.
Cuisiner, puis vendre cinq dollars pièce des plats de riz et de pommes de terre aux militaires américains : à Musa Qala, district et traditionnel repaire taliban de la province méridionale du Helmand, voilà comment des soldats afghans se constituent le pécule qui graissera la patte de leur commandant, condition sine qua non pour être autorisé à partir en permission.
Ces plats locaux améliorent l'ordinaire des austères rations des soldats américains, et les bénéfices permettent à la troupe afghane de pouvoir rejoindre de temps à autres leur familles, expliquent à l'AFP ces soldats.
Sans pot-de-vin, pas moyen, affirment ces hommes issus de minorités de se voir accorder du temps libre par leur commandant pachtoune, membre de l'ethnie la plus importante du pays.
"Le commandant nous dit 'fouillez vos poches'. Si quelqu'un lui donne de l'argent, il obtient une permission. Je n'ai pas d'argent alors je ne pars pas", explique un soldat hazara de 20 ans, qui comme les autres ne parle que sous un strict anonymat, par crainte des représailles.
Une pratique qui sape le moral des jeunes recrues de la petite base.
Et qui n'est qu'un des nombreux problèmes qui minent l'Armée nationale afghane (ANA), forte de 150 000 hommes, à qui, avec la police, les troupes de l'Otan sont censées transmettre progressivement d'ici 2014 la responsabilité de la sécurité sur l'ensemble du territoire.
En mai, l'ONG International Crisis Group (ICG) estimait que l'ANA était à l'heure actuelle "incapable de combattre seule l'insurrection", pointant le communautarisme, l'illettrisme, l'addiction aux drogues et les désertions.
Selon ICG, les Pachtounes (estimés par l'ONG à 40% de la population) et les Tadjiks (27%) dominent chez les officiers, où les Hazaras, Ouzbeks et autres minorités sont sous-représentés.
"Nous ne sommes au courant d'aucun mauvais traitement de soldats d'un groupe ethnique par des officiers d'autres groupes ethniques", a assuré à l'AFP le porte-parole du ministère de la Défense, le général Mohammad Zahir Azimi, qui affirme que la composition de l'ANA reflète les équilibres ethniques du pays.
"Mais nous allons enquêter sur ces allégations. Nous ne tolèrerons aucune discrimination dans l'armée nationale", a-t-il ajouté.
Outre ce sentiment d'injustice, c'est surtout la peur qui domine chez ces hommes qui admettent ne garder ce travail extrêmement dangereux que pour le salaire, relativement élevé dans le pays, de 280 dollars par mois.
Ils sont menacés sur le front comme dans les villes, où les attentats suicide des talibans ciblent régulièrement les recrues de l'ANA. Le 19 décembre, deux attaques à Kaboul et Kunduz (nord) ont ainsi tué neuf soldats.
"J'ai peur, qui ne peut avoir peur d'une attaque de talibans ?", demande le jeune soldat tadjik en disant craindre le départ des troupes étrangères, qui pourrait selon certains entraîner un retour au pouvoir des "étudiants en religion", des Pachtounes à l'origine, chassés du pouvoir à la fin 2001.
"La plupart d'entre nous sont terrifiés, nous ne sommes là que pour l'argent", confirme le soldat hazara.
"De nombreux soldats ne reviennent jamais de permission. Sans l'aide des Marines (américains), nous ne pouvons pas protéger Musa Qala. Et à cause des problèmes ethniques, je pense que l'armée afghane restera faible", estime-t-il.
Lors d'une patrouille, un soldat ouzbek résume le désespoir qui mine nombre de recrues: "Comment construire notre pays si les choses continuent comme ça ?"
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