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La peur gagne les Afghans du Nord Le Monde, le 19 mars 2007 Devant l'incertitude de la situation politique et la résurgence des talibans, les commandants du nord de l'Afghanistan, poussés par leurs partis, se réorganisent et, pour certains, se réarment. Les talibans et leurs alliés du Hezb-e-Islami, le parti de l'ex-premier ministre Gulbuddin Hekmatyar, font aussi sentir leur présence, profitant de la frustration grandissante d'une partie de la population. "Le Hezb-e-Islami est de nouveau actif, ses membres sont en contact suivi, et ils sont sans doute derrière un certain nombre d'explosions récentes" , affirme, à Kunduz, un responsable d'une organisation internationale qui veut garder l'anonymat. "Ces six derniers mois, les talibans ont aussi repris contact avec leur direction, et ils multiplient les tracts menaçant les femmes qui travaillent et les hommes employés par les étrangers" , ajoute-t-il. Signe d'une insécurité grandissante, le prix des armes augmente. "Un kalachnikov se négocie aujourd'hui à 30 000 afghani (600 dollars), contre 10 000 il y a quelques mois" , raconte Humayun, un fonctionnaire chargé de l'application des programmes de développement gouvernementaux dans la province de Baghlan. "Un lance-roquettes est passé de 3 000 à 5 000 afghani (60 à 100 dollars) " , dit-il. Humayun, qui travaille dans des districts sous l'influence du Hezb-i-Islami, affirme aussi : "Une condition implicite de notre intervention dans les villages est qu'aucun étranger n'y pénètre." L'assassinat récent, dans la province de Sar-e-Pul, d'un membre de l'organisation non gouvernementale (ONG) allemande German Agro Action pourrait être lié à ce refus de l'"infidèle". L'insécurité est aussi alimentée par le mécontentement des commandants, théoriquement désarmés, et dont les hommes sont le plus souvent sans emploi. "Les moudjahidins travaillent de nouveau pour leurs partis" , affirme le commandant Amir Gul, un ex-officier du Hezb-e-Islami rallié au gouvernement, intégré au ministère de la défense, puis désarmé et aujourd'hui sans fonction. "Tous mes hommes sont chômeurs et si un opposant au gouvernement leur offre n'importe quoi, ils accepteront" , dit-il. Le ressentiment du commandant Gul contre le gouvernement et le président Hamid Karzaï est partagé par beaucoup d'anciens moudjahidins qui se perçoivent écartés du pouvoir. "Quand les moudjahidins contrôlaient la situation, la sécurité était bien meilleure" , affirme, sous le sceau de l'anonymat, un membre du gouvernement, lui même ancien combattant du djihad anti-soviétique. La résurgence des talibans est aussi un bon prétexte pour les moudjahidins de relever la tête. "Nous sommes assis à la maison et les gens qui sont au gouvernement n'ont aucune idée de ce que sont les talibans. Ils sont aussi incapables de faire la différence entre un ennemi et un ami" , affirme le commandant Gul. "Les vrais combattants ont été désarmés et maintenant le ministère de la défense, sous prétexte de professionnalisme, donne des armes aux tueurs (les ex-officiers communistes) et les victimes (les moudjahidins) sont à la maison" , dit encore Amir Gul, dont le bilan en matière de droits de l'homme est loin d'être honorable. Dirigé contre le gouvernement, le ressentiment des moudjahidins vise aussi la communauté internationale qui, comme l'affirme le ministre, "en écartant les seigneurs de guerre, détruit la stabilité du pays" . "Si les gens n'étaient pas tellement fatigués de combattre, personne ne laisserait les étrangers rester dans le pays" , avoue à Baghlan Mohammad Humayun, un ex-moudjahidin reconverti en assistant médical. "La plupart des commandants attendent une occasion pour redémarrer et même si les combattants veulent la paix, ils s'engageront avec un commandant qui vient avec de l'argent" , dit-il encore. Les troupes de l'OTAN déployées dans le nord et le nord-est de l'Afghanistan sont loin encore de rencontrer le même type d'opposition que dans les régions Sud et Sud-Est. Et quand les convois s'arrêtent, les enfants peuvent encore venir s'agglutiner près des jeeps des soldats. "La population n'essaie pas de faire quelque chose contre les soldats allemands" , affirme, à Kunduz, Haji Hamidullah, un fonctionnaire. "Les gens soutiennent les forces étrangères car ils savent que si elles partent, les combats vont reprendre" , explique à Taloqan, capitale de la province de Takhar, Sher Agha, employé d'une ONG afghane. Le long de la route nouvellement reconstruite entre Kunduz et Taloqan, des écoles et des cliniques toutes neuves prouvent au moins que l'aide est arrivée jusque-là, même si l'encadrement humain fait encore défaut. Mais ici comme ailleurs, les problèmes principaux restent le manque d'emploi et l'absence de gouvernance. "Deux commandants qui occupent des fonctions officielles se sont battus et Taloqan est restée ville morte pendant trois jours" , affirme Qayum, un employé d'une autre ONG. "Dans mon village, Dehyak, 25 hommes sont partis en Iran pour tenter de trouver du travail" , dit-il, soulignant que dans un seul district de la province, 400 hommes sont partis vers l'Iran. La mosaïque ethnique du Nord commence à se fissurer et, affirme Qayum, "nous avons peur que le pire n'arrive" .
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