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Le travail des enfants - UNICEF


 
 

Des milliers d'enfants travaillent dans les mines d'or africaines

AP, le 3 septembre 2008

TENKOTO, Sénégal - Un gisement d'or enterré sous une étendue de brousse vaste et aride traverse certains des pays les plus pauvres au monde. Là où le minerai est riche, les mines industrielles l'exploitent. Là où il ne l'est pas, ce sont les pauvres qui passent la terre au crible.

Parmi ces mineurs misérables se trouvent plusieurs milliers d'enfants. Ils travaillent de longues heures à des travaux souvent dangereux dans des centaines de mines primitives éparpillées dans la brousse ouest-africaine. Certains ont à peine quatre ans.

Au cours d'une enquête qui s'est déroulée sur une année, l'Associated Press a visité six de ces mines dans des pays d' Afrique de l'ouest et interviewé plus de 150 enfants-mineurs. Les journalistes d'AP ont vu l'or extrait par les enfants acheté par les commerçants itinérants. Et, via des interviews et des documents des douanes, retracé le chemin du métal jaune sur 5.000 km, via la capitale du Mali jusqu'en Suisse, où il entre sur le marché mondial.

La plupart des mines artisanales ne sont guère plus que des trous dans le sol, mais il en existe des milliers en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie . Réunies, elles produisent le cinquième de l'or dans le monde, selon les Nations unies. Et là où on trouve ces mines, on trouve aussi des enfants qui y travaillent, selon ces mêmes rapports de l' ONU et des experts.

Si vous portez une bague en or, écrivez avec un stylo à plume en or, ou avez de l'or dans votre portefeuille d'investissements, il se peut que votre vie soit liée à ces enfants.

L'un d'entre eux s'appelle Saliou Diallo. Il a 12 ans et mesure moins d'1,20 mètre.

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Saliou et ses amis, Hassane Diallo, 12 ans (pas de la même famille), et Momodou Ba, 13 ans, ont quitté l'école il y a trois ans, lorsque le seul instituteur de leur village de Guinée est parti. Ils sont partis travailler dans les champs de leurs pères.

L'année dernière, les cours de l'or ont atteint leur record depuis 26 ans, et un étranger a abordé les enfants. Ils racontent qu'il leur a proposé de les emmener dans un endroit de l'autre côté de la frontière, au Sénégal, leur disant que l'argent s'y cachait sous terre.

Les prix élevés de l'or ces sept dernières années ont attiré un nombre croissants de pauvres, y compris des enfants, dans ces mines artisanales. L'agence pour le travail des Nations unies estime qu'il y a maintenant entre 100.000 et 250.000 enfants-mineurs rien qu'en Afrique de l'ouest.

Le recruteur de Saliou et de ses amis leur a promis deux dollars par jour. Ce qui semblait beaucoup d'argent à des enfants qui n'en avaient pas du tout.

Dans une région où les enfants de quatre ans transportent de l'eau et s'occupent des chèvres, on attend des garçons de l'âge de Saliou qu'ils gagnent de l'argent pour leur famille. Le Sénégal interdit les travaux dangereux aux moins de 18 ans, et le travail de la mine est l'un des plus dangereux. Mais les lois sont rarement appliquées.

Saliou a fait ses bagages, a posé son ballot de vêtements sur sa tête et s'est éclipsé avant l'aube. Le recruteur a fait marcher les trois garçons pendant une semaine sur plus de 160 km. Les lanières de leurs sandales en plastique s'incrustaient dans leurs chevilles jusqu'à ce que leurs pieds gonflent.

Les garçons ont entendu la mine avant de la voir, le bruit des marteaux transformant les cailloux en poussière. Les herbes hautes avaient été coupées. A leur place s'élevaient des centaines de huttes en forme de cône avec des toits d'herbe séchée. Tenkoto, autrefois une tête d'épingle dans le paysage, s'était transformé en village d'orpailleurs, hébergeant 10.000 personnes.

C'est là que les journalistes d'AP ont rencontré les garçons, vivant dans ces huttes où ils dormaient coincés entre des adultes sur de simples matelas.

Toutes les nuits avant de s'endormir, Saliou essaie de se souvenir d'un verset du Coran. Il ne sait pas ce que les mots signifient, mais on lui a dit qu'ils le protégeraient.

A dix kilomètres du village, des hommes et des adolescents, dont certains ont 14 ans, descendent dans des puits à 30 ou 50 mètres de profondeur. Les puits sont de la taille d'un homme. Les adolescents plus jeunes remontent les pierres avec une poulie.

Le patron de Saliou achète des sacs de gravier à ces hommes. La terre a déjà été passée au crible, mais il reste en général quelques miettes de métal précieux. Les garçons comme Saliou et ses amis se relaient à différentes tâches pour récupérer ces miettes.

Ils poussent des wagonnets de terre sur des chemins défoncés, concassent la terre avec des pilons de bois pendant des heures jusqu'à ce qu'elle soit aussi fine que de la farine. Ils la rincent dans une vaste tamis. Puis ils s'accroupissent près d'une bassine en plastique, versent du mercure dans leurs mains nues, et le frottent dans la boue comme une femme ferait la lessive sur des rochers.

Le mercure attire l'or comme un aimant. Mais il attaque aussi le cerveau et peu provoquer des tremblements, des problèmes d'élocution, des maladies rénales, et rendre aveugle.

De la bassine de Saliou sort une bille argentée de la taille d'un M&M. Il la donne à son patron, qui relève ses lunettes de soleil pour l'examiner. Puis il la chauffe sur un feu de charbon pour que le mercure s'évapore, laissant derrière lui une particule d'or.

Toucher le mercure est dangereux, mais respirer ses émanations est encore pire. Les enfants ne le savent pas. Ils se pressent pour regarder la minuscule pépite d'or alors que son enveloppe argentée s'évapore lentement.

A l'heure du repas, Saliou se lave les mains dans une mare boueuse où les résidus de mercure ont été déversés. Il prend une poignée de riz à pleines mains avant de se lécher les doigts.

Le soir, le patron de Saliou se faufile entre les huttes où des femmes font cuire du chou et allaitent des bébés en sueur. La paillette d'or que les enfants ont extraite de la boue est dans la poche de son jean.

Un acheteur attend dans une échoppe obscure, ses balances posées sur une table en bois.

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On distingue les acheteurs d'or des mineurs à leur vêtements propres et à leurs balances. Ils offrent tous le même prix pour un gramme d'or, environ 19 dollars. (L'or se mesure en onces, chaque once équivalant à 31 grammes)

Ces acheteurs avancent de l'argent aux mineurs pour acheter les outils et les sacs de terre. En échange, ils ont priorité sur le métal extrait par les orpailleurs. Le patron de Saliou explique être fidèle à un marchand nommé Yacouba Doumbia, qui lui a donné son capital de départ.

Doumbia dit qu'il lui faut plus d'un mois pour rassembler près d'un kilo d'or, qu'il cache cousu dans ses vêtements.

L'or quitte le campement des orpailleurs à l'aube sur une moto. Il voyage quatre jours jusqu'à Bamako, capitale du Mali. Les convoyeurs expliquent que le voyage est dangereux. Certains portent des armes. Ils empruntent des routes secondaires, jamais la route principale.

Les motos arrivent en ville depuis des centaines de mines situées sur les gisements aurifères. Et l'or se retrouve dans cinq bureaux installés près de la place centrale.

Car les intermédiaires comme Doumbia sont quasiment tous affiliés à l'un des cinq "barons" qui tiennent le marché de l'or à Bamako: Fantamadi Traoré, Fabou Traoré, Sadou Diallo, Boubacar Camara et El Haj Moussa Diaby, dont les affaires sont désormais gérées par son fils, Fodé Diaby.

Doumbia a reçu ses fonds et sa moto de Fantamadi Traoré. Ils viennent du même village malien, c'est donc comme s'ils étaient de la même famille. Traoré a recruté plus de 70 acheteurs, la plupart de son village, qui ont investi Tenkoto.

"Tout l'or qui quitte notre village est destiné à cet homme au Mali", déclare Bambo Cissokho, le chef de village de Tenkoto.

Les acheteurs de Traoré viennent jusqu'à chez lui à Bamako et lui remettent l'or, enfermé comme des épices dans des sachets en plastique transparent. Le poids d'or, et le nom de l'acheteur sont marqués sur un Post-It. Puis l'or rassemblé est fondu dans un four extérieur et versé dans un moule pour former un lingot artisanal.

Les journalistes d'AP ont pu observer les intermédiaires monter leurs Post-It à l'étage, dans le bureau de Traoré où des rideaux recouvrent les fenêtres, et où le quinquagénaire barbu mâche des noix de kola devant un écran de télévision sur lequel s'affichent les cours de l'or sur les marchés mondiaux.

Les hommes de Traoré paient les intermédiaires en plongeant dans un coffre-fort rempli de francs CFA et de dollars américains. Le prix de l'or de Tenkoto est de 22,4 dollars le gramme, soit 3,4 dollars de plus que ce que les intermédiaires l'achètent aux mineurs. Un courtier faisant une livraison classique d'un kilo touche donc 22.400 dollars, dont 3.400 de bénéfices.

De retour à la mine, les poches pleines de billets, ils rachètent du métal. Et le cycle continue, le même dans toutes les mines de toute l'Afrique de l'ouest où travaillent les enfants.

Les enfants voyagent de mine en mine, se déplaçant avec l'or: six mois après l'arrivée de Saliou et de ses copains à Tenkoto, leur patron a décidé que la mine ne rapportait plus guère. Et le groupe de repartir, marchant pendant plus d'une semaine, franchissant la frontière, jusqu'à une autre mine, à Hamdalaye, au Mali. Là, l'or est vendu à un autre acheteur, mais fait quand même le voyage en moto jusqu'à Bamako, pour être vendu à un autre des cinq barons, Sadou Diallo.

Ces grossistes, à leur tour, envoient leurs lingots vers un bâtiment orange décrépi de Bamako, et plus précisément le Bureau numéro 207.

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Les murs sont tachés, les couloirs sentent mauvais et des tentures bloquent la lumière, mais la saleté des locaux cache mal le fait que des millions de dollars transitent par les bureaux d'Abou Ba.

Entre le Mali et le Sénégal, on compte des centaines d'acheteurs d'or et cinq "barons". Mais il n'y a qu'un homme qui y a les papiers, l'argent et les relations pour exporter l'or de brousse vers l' Europe . Une étude des documents des douanes maliennes sur cinq ans effectuée par l'AP a confirmé que seul Ba (ou Bah) sort régulièrement de l'or du pays. Et les cinq "barons" disent tous lui vendre leur minerai.

"Il a les moyens pour le sortir. Nous on a pas", explique Fabou Traoré, qui lui vend environ 80 kilos d'or par mois.

"On n'a pas le choix", ajoute Fantamadi Traoré. Sadou Diallo, qui montre un reçu récent de Ba pour un montant de 194.000 dollars, explique que ce dernier a travaillé pendant longtemps avec les occidentaux.

Sortir l'or du Mali coûte cher. Le gouvernement l'impose à 11 dollars le kilo, auxquels viennent se rajoute 6% de taxes à l'aéroport. De la brousse au marché mondial, l'once d'or pur augmente d'environ 380 dollars.

Ba, 50 ans, reconnaît que tout son or vient de ces mines, y compris de Tenkoto et Hamdalaye, où les journalistes d'AP ont vu des enfants travailler.

Mais il se ferme lorsqu'on lui en parle. "Nous ne vivons pas en brousse, nous n'avons donc rien à voir avec le travail des enfants, déclare le commerçant, qui ajoute n'avoir non plus jamais visité les mines. "Nous ne faisons qu'acheter l'or".

Ba affirme que presque tout cet or est exporté vers la Suisse. Un peu plus tard, un de ses clients suisses présentera un document rédigé par Ba dans lequel il affirme vendre 90% de son or à des acheteurs d'autres pays d'Afrique de l'ouest. Mais les documents des douanes maliennes n'enregistrent pas trace de telles exportations, et lorsque l'AP lui a demandé des précisions, Ba s'en est tenu à sa première déclaration:

"On ne travaille pas (sic) avec aucun pays africain. Toutes nos marchandises sont vendues en Suisse", a-t-il écrit.

Depuis au moins 2003, Ba et ses associés ont transporté de l'or de brousse jusqu'à Genève dans des valises ou paquets à bord de vols réguliers de Bamako, faisant le voyage plusieurs fois par mois.

Selon les registres des douanes maliennes, Ba emmène normalement trois à cinq kilos à chaque voyage, soit pour une valeur comprise entre 86.000 et 143.000 dollars au cours d'aujourd'hui.

L'inspecteur Bassirou Keita, du Département malien chargé de la supervision des revenus miniers, se dit certain que ce que Ba déclare n'est qu'une petite partie de ce qui sort.

Et Ba de répondre, par écrit: "Je travaille depuis longtemps, je fais mes déclarations, je paye mes impôts".

Selon les registres des douanes maliennes, entre janvier 2003 et mars 2008, Ba a exporté plus de 800 kilos d'or vers la Suisse. Un volume susceptible de valoir jusqu'à 22 millions de dollars, en fonction de la pureté de l'or, aux cours d'aujourd'hui.

Ba explique qu'une fois arrivé à Genève, il dépose ses barres d'or à un comptoir des douanes suisses à l'aéroport international.

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Une fois en Suisse, l'or de Ba entre dans le monde nébuleux de la banque suisse et du courtage des métaux précieux, où le secret est inscrit à la fois dans les traditions et les lois. Les registres des douanes suisses, tout comme les transactions bancaires en Confédération helvétique, sont confidentielles.

Mais les documents maliens montrent que depuis 2003, 96% des exportations de Ba ont été acquises par deux petites sociétés genevoises. Decafin SA en a acheté quasiment un cinquième, soit l'équivalent de quatre millions de dollars au cours d'aujourd'hui. Le reste, d'une valeur pouvant atteindre 18 millions de dollars a été acheté par Monetary Institute, dirigé par l'ancien responsable de Decafin, Judah Léon Morali.

Ce dernier affirme n'acheter que quelques grammes, quelques kilos, ici et là. Selon lui, tout le monde achète chez Ba, et si les noms d'autres sociétés n'apparaissent pas, c'est parque certaines transactions ne sont pas enregistrées.

Morali dit avoir visité les bureaux de Ba à Bamako et n'y avoir jamais vu d'enfants travailler. Mais reconnaît ne jamais avoir été dans les mines.

Decafin, le second importateur de l'or de Ba, est une affaire familiale dont les bureaux se trouvent dans la très chic rue du Rhône. Marc Arazi, son responsable principal, dément dans un premier temps acheter chez Ba. Mais plus tard, l'un des avocats de la société, Maître Marc Oederlin, a expliqué que la relation d'affaires entre Decafin et Ba était indéniable et qu'Arazi la reconnaissait.

L'avocat dit que Decafin est inquiet à cause du travail des enfants mais n'a pas de responsabilité légale pour enquêter sur comment est extrait l'or qu'il importe. Il ajoute que Decafin a confiance en Ba et est certain que son or n'est pas le produit du travail d'enfants.

Plus tôt dans l'année, Decafin avait été en justice en Suisse, sans succès, pour éviter que son nom soit publié par l'AP dans le cadre de cette histoire, arguant qu'elle porterait indûment préjudice à la réputation de l'entreprise. Dans les documents judiciaires, Decafin affirme que son or n'a pas pu être extrait par des enfants au Sénégal et au Mali, où AP a constaté la présence d'enfants-mineurs, car l'or de Ba provient du nord de la Guinée.

Toujours selon Decafin, Arazi s'est rendu dans la région en 2005, et s'il avait constaté l'utilisation d'enfants, il n'aurait pas fait affaire avec Ba.

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Le filon d'or s'étend sur 100 km dans le nord de la Guinée. Des centaines de mines artisanales s'y entassent autour des villes de Siguiri et Kankan.

Selon un expert minier des Nations unies, qui a inspecté la région quelques mois après la visite d'Arazi, les enfants y représentent 10 à 20% de la main-d'oeuvre. L'expert y a également fait état d'effondrements mortels dans des puits construits à la hâte, d'absence d'hygiène et d'une pauvreté extrême.

En avril, un journaliste d'AP y a vu des centaines d'enfants au travail. Le filon est plus riche ici, évitant aux enfants de devoir utiliser du mercure. Ils restent debout dans des trous boueux sous un soleil de plomb et récoltent l'or dans la boue.

Nombre de ces enfants-mineurs sont des filles, qui commencent à quatre ans comme apprenties, et deviennent travailleuses à plein temps avant dix ans. Les adolescents travaillent dans les puits, descendant avec des lampes électriques autour du coup pour piocher la roche.

Selon Lancei Condé, administrateur régional de Kankan, il y a des enfants dans toutes les mines artisanales de Guinée.

Une armée d'acheteurs opère dans les mines guinéennes, la plupart travaillant pour l'un des trois gros commerçants locaux, Abdoulaye Nabe, El Haj Oumar Berete, et les frères Kante, Sakia et Sekouba, installés à Siguiri, Kankan et Kouroussa.

Ces commerçants ont expliqué à AP vendre une partie de leur minerai à Conakry, la capitale, mais surtout à Ba, à Bamako. Ils disent préférer faire affaire avec lui, car il paye rubis sur l'ongle et en dollars.

Sakia Kante montre un reçu de Ba, daté du 5 avril, pour 7.544 grammes d'or, pour lesquels il a été payé près de 200.000 dollars.

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Les importateurs suisses, Monetary et Decafin, disent confier l'or d'Abou Ba à des firmes de raffinage suisses. Selon les spécialistes de l'industrie, l'or provenant de différentes parties du monde est fondu ensemble en grande quantité pour produire des lingots bancaires et plaques. L'or extrait par les enfants d'Afrique s'y retrouve donc mélangé au reste.

Les deux importateurs sont payés lorsque les lingots et plaques sont vendus via les banques suisses.

Decafin confie son or à l'un des plus gros spécialistes au monde, Valcambi SA, selon Maître Olivia Berger, un des avocats de l'importateur. L'or est ensuite vendu via le géant bancaire suisse UBS, ajoute-t-elle.

Selon le patron de Valcambi Michael Mesaric, sa société ne voudrait pas affiner ni même accepter de l'or d'une mine où travaillent des enfants. La porte-parole de l'UBS Rebeca Garcia n'a pas voulu parler de Decafin, mettant en avant le secret bancaire. Mais dans sa plainte contre l'AP, Decafin affirme que son compte "métal" a été fermé par l'UBS en raison de l'enquête de l'AP.

Les choses sont confuses au sujet de l'affineur de l'autre importateur, Monetary. Morali, son fondateur, explique qu'il envoyait son or à Metalor Technologies SA, un des principaux raffineurs et courtiers de métaux précieux, mais a changé l'année dernière pour une société qu'il s'est refusée à identifier.

Il estime que la seule chose à comprendre au sujet du chemin parcouru par l'or, c'est qu'il vient d'Afrique et arrive dans les banques suisses.

Metalor dément avoir fait des affaires avec Monetary. Mais Metalor reconnait avoir importé directement de l'or acheté auprès de Ba en 1999 et 2000, selon Nawal Ait-Hocine, directrice de la division juridique de Metalor, qui ne précise pas pourquoi ce n'est plus le cas. Les registres des douanes maliennes prouvent que Ba a également fourni de l'or à Metalor en 2003, mais Mme Ait-Hocine dit n'avoir pas pu en trouver trace.

Metalor procède à des enquêtes extensives pour s'assurer que le minerai précieux vient de sources légales, ajoute-t-elle. Tout en estimant qu'une société ne peut jamais être sûre à 100%.

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Le trajet qui commence entre les mains tachées de mercure de Saliou s'achève en lingots dans des coffres de banque et en colliers, bagues et bracelets vendus dans les bijouteries du monde entier.

Impossible de savoir avec certitude quels produits contiennent de l'or extrait par des enfants. A la différence du diamant, l'or ne garde pas son identité au cours de son long périple de la mine au marché. Il passe entre dix mains ou plus, et quand il est fondu, en général à plusieurs reprises, et mélangé à de l'or d'autres provenances, son origine disparaît.

Parmi les bijoutiers et autres détaillants qui achètent de l'or via l'UBS, on trouve la Compagnie Financière Richemont SA, le fabricant des stylos Mont-Blanc, les montres Piaget, les joailleries de Cartier et Van Cleef & Arpels. L'or affiné par Metalor a été utilisé par ces marques ou encore le bijoutier de luxe Tiffany, mais aussi les bijoux bon marché du géant américain de la grande distribution Wal-Mart.

Ces sociétés s'inquiètent du travail des enfants et expriment leur frustration de ne pas pouvoir certifier que leurs produits n'en proviennent pas. Parce que les mines de brousse, où le travail des enfants est largement répandu, fournissent un cinquième de la production mondiale d'or, les sociétés se rendent compte que leur filières d'approvisionnement pourraient ne pas être sûres à 100%.

"Je ne peux que mettre l'accent sur la complexité du problème", note Michael Kowalski, président de Tiffany. "Il y a le désir de faire quelque chose. Mais comment?"

En 2005, Tiffany et d'autre joailliers et compagnies minières ont créée le Conseil pour les pratiques responsables en joaillerie, qui interdit le travail des enfants dans les mines. Des grands noms du secteur, Metalor ou Cartier, ont signé. Mais à ce jour, le Conseil n'a trouve aucun moyen de faire appliquer ces règles.

"On peut remonter chaque planche à sa forêt d'origine. On peut suivre la trace de chaque sac de café, de chaque diamant vers un champ particulier. Mais pour l'or, il n'y a rien", note l'économiste Michael Conroy, auteur d'un livre sur les chaînes d'approvisionnement dans l'industrie.

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Après avoir travaillé six mois, Saliou a été payé 40 dollars. On lui avait promis deux dollars par jour, ce qui aurait du faire 360 dollars. Mais son patron déduit l'argent du thé, du riz et du loyer, et Saliou ne sait pas vraiment combien tout cela coûte.

Le petit garçon n'a "qu'un seul voeu", pouvoir un jour avoir un peu d'argent. "Parfois je rêve qu'un jour je posséderai quelque chose en or".

Avec les autres enfants, il gratte le sol et la boue abandonnée par les adultes. La terre a déjà été tamisée, mais ils la lavent encore, et y versent encore du mercure, espérant trouver de l'or qu'ils n'auraient pas à donner au patron. Les enfants extraient une paillette. Elle pèse 0,2 grammes. Ils en retireront 1,95 dollars chacun.

Les gamins dépensent leur argent en paracétamol, un anti-douleur vendu au marché du village, qu'ils avalent pour soulager leurs douleurs au dos et à la poitrine après des journées de travail de dix heures. Le sol en terre de leur hutte est recouvert d'emballages de médicament. AP

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NOTE : ce papier se fonde sur des entretiens avec les enfants, leurs employeurs, les commerçants qui leur achètent l'or et de nombreux experts, menés sur une période de 11 mois au Sénégal, au Mali, en Guinée et en Suisse.

L'AP a rencontré Saliou pour la première fois sur la mine de Tenkoto au Sénégal en septembre 2007, où une journaliste a pu voir pendant une semaine lui et d'autres garçons âgés de 12 et 13 ans utiliser du mercure pour amalgamer les paillettes d'or. Les détails de son périple vers la mine proviennent de nombreux entretiens avec Saliou, ses amis et les adultes les accompagnant. Scènes vues et citations ont été relevées par la journaliste lui-même.

L'AP est revenue à la mine en octobre et a suivi les trois jours de voyage, d'abord par autocar puis à pied, du patron de Saliou et des enfants vers une autre mine de l'autre côté de la frontière malienne. Au Mali, l'AP a passé plusieurs jours à observer Saliou et son ami de 13 ans travailler dans la nouvelle mine. Dans ces deux mines, une journaliste a pu voir le patron des enfants vendre l'or à un commerçant local. A plusieurs reprises, elle était également présente lorsque les enfants ont vendu l'or eux-mêmes aux commerçants.

En avril, la journaliste s'est rendue dans cinq mines isolées du nord de la Guinée et a interrogé des dizaines d'enfants y travaillant, ainsi que leurs parents et employeurs. Au travers des entretiens avec ces derniers, l'AP a pu retracer les ventes d'or des mines au Sénégal, au Mali et en Guinée à Abou Ba à Bamako. La journaliste a interrogé M. Ba à plusieurs reprises: par téléphone, par des questions adressées par fax et dans un entretien en face à face dans son bureau à Bamako. Les documents douaniers ont confirmé ses déclarations selon lesquelles la quasi-totalité de ses ventes d'or ont été faites à deux importateurs suisses. Des responsables de ces sociétés ont répondu aux questions par téléphone, courriel et en entretien en face à face.

L'AP a aussi interrogé des affineries, des banques, des joailliers et des détaillants susceptibles d'avoir traité cet or. De l'Afrique à l'Europe, des entretiens ont également été menés avec des experts de l'industrie de l'or, des organismes surveillant la filière, des organes gouvernementaux et des responsables onusiens.

 

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