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A Istanbul, la mort du quartier rom - Le Monde, le 15 mai 2009


 
 

Quartier Rom de Sulukule : chronique d'une destruction

fnasat.asso.fr - Janv. 2009

Le quartier de Sulukule s'étire le long des murailles de Théodose qui ceinturent la ville historique d'Istanbul. Ce quartier abrite la plus ancienne communauté Rom au monde, installée là depuis près de mille ans. Cependant, le quartier est en train d'être démoli et ses habitants contraints de le quitter depuis le lancement d'un vaste projet de rénovation urbaine par la municipalité de Fatih, district d'Istanbul.

Ce projet fait partie du programme urbain mené par le maire architecte d'Istanbul, Kadir Topbas, qui prépare sa ville à être Capitale européenne de la culture en 2010. Istanbul change, ses quartiers pittoresques se transforment et s'uniformisent.

Ainsi, les frêles habitations de Sulukule, bâties aux dernières heures de l'Empire ottoman, fragilisées par les âges, seront remplacées par des immeubles de standing. La municipalité de Fatih a motivé ce projet, qu'elle annonce comme "social", pour protéger les habitants de Sulukule des risques de tremblement de terre et leur offrir des logements plus confortables.

Nul ne peut nier en effet que le quartier a besoin de rénovation, mais ses habitants ne profiteront pas des futures habitations car ils ne pourront pas les acheter ni les louer. Dès lors, la plupart des 3500 Roms de Sulukule sont contraints de s'exiler. Leur relogement est prévu dans le quartier de Tasoluk, banlieue lointaine et anonyme d'Istanbul, située à une quarantaine de kilomètres du centre historique. Dès l'annonce du projet, qui a été lancé sans les consulter, les Roms de Sulukule se sont mobilisés pour stopper la démolition, clamer leur appartenance historique au quartier et leur refus de le quitter.

La présence à Constantinople d'un groupe de Roms, arrivés d'Inde, est notifiée pour la première fois par le clergé byzantin en 1054. On les baptise alors "Aiguptos", qui signifie "Egyptiens" en grec ; car les premiers Roms s'adonnaient à la divination et à la magie, pratiques associées en ce temps à la terre d'Egypte. Ces "Egyptiens", tels qu'on les désignait à Byzance puis partout en Europe, ("Gitans" en français ou "Gypsies" en anglais…) étaient alors installés sous de grandes tentes noires, à l'extérieur des murailles byzantines. C'est à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 que les Roms s'établirent dans l'enceinte de la cité avec d'autres communautés Roms emportées par la conquête. Reconnus pour leur talent de musiciens et de danseurs, les Roms animèrent des siècles durant la cour des Sultans.

Après la chute de l'Empire, les festivités continuèrent à Sulukule. De nombreuses tavernes, dans lesquelles se produisaient orchestres et danseuses du ventre, attiraient chaque nuit un millier de Stambouliotes et de touristes. Ce fut l'âge d'or de Sulukule, immortalisé dans des séries télé turques et dans James Bond "Bons baisers de Russie", sorti en 1963.
Mais, au début des années 90, la municipalité de Fatih ferme ces tavernes, lieux pernicieux peu appropriés au conservatisme ambiant, et ampute ainsi les habitants de leur principale source de revenus. Débute le lent déclin de Sulukule, dont les habitants subsistent depuis grâce à une économie locale et solidaire.

Face aux démolitions et aux expulsions, Sükrü Pundük, issu d'une des plus vieilles familles du quartier, et des membres de la société civile turque ont créé l'Association de développement et de soutien de la culture rom. Son but est de défendre le droit des habitants de Sulukule, en mettant en avant la longue présence des Roms dans le quartier et la contribution de leur culture à la spécificité d'Istanbul.
Le départ des Roms de Sulukule signifie la disparition de la culture gitane dans la cité ; leur dispersion dans les zones périphériques aboutit à l'anéantissement même de la communauté.

L'Association reçoit le soutien des universités d'architecture et d'urbanisme d'Istanbul et celui de l'Unesco qui a classé le quartier "patrimoine culturel et historique".
Elle a mobilisé la presse nationale et internationale, a plaidé sa cause devant les autorités à Ankara, capitale de la Turquie, et devant le Parlement européen à Bruxelles... Mais rien n'y fait, les bulldozers continuent leur travail de démolition, et il ne reste plus que quelques maisons debout à Sulukule. Seules quelques familles y habitent encore aujourd'hui ; les autres sont parties, presque 1000 ans après leur installation.

Sükrü Pundük réside encore à Sulukule. Il affirme qu'il ne partira pas, quitte à s'installer, comme l'ont fait ses ancêtres, dans de grandes tentes noires sur un terrain vague qui borde les murailles de Théodose. Car c'est là qu'est née l'histoire du peuple gitan dans son ensemble, dont l'anniversaire du premier millénaire est proche (1054-2054). C'est à Sulukule que l'identité et le nom des Gitans ont été établis, et c'est de là qu'ils se sont élancés dans leur longue marche vers l'ouest, à travers l'Europe et le monde.

   

 

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