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Réfugiés tamouls : «Les enfants meurent en premier»

Le Monde, le 16 mai 2009
   

En Inde, des rescapés tamouls racontent leur exode tragique par la mer.

Pour fuir la guerre, ils ont vécu l'enfer. Le 29 avril, des pêcheurs indiens ont récupéré au large de l'Andrah Pradesh, sur la côte Est, une petite embarcation dans laquelle se trouvaient onze réfugiés tamouls arrivant du Sri Lanka. Sept hommes, trois femmes, et un bébé de huit mois, à peine vivants. «Au départ, nous étions 23 , raconte Indramenon, sur son lit d'hôpital. Huit sont morts de faim et de soif, quatre autres se sont jetés à l'eau pour tenter d'aller chercher de l'aide.»

Détresse. Neuf jours durant, ces rescapés des combats qui déchirent la région de Mullaittivu, dernière enclave tenue par les séparatistes tamouls, ont dérivé, sans eau ni nourriture, sous un soleil de plomb. «Nous n'avions rien emporté car le voyage jusqu'au Tamil Nadu [Etat du sud de l'Inde, ndlr] ne devait durer qu'une nuit», explique Yesudas, le propriétaire du bateau. Peu après le départ, le groupe a perdu son chemin après avoir bifurqué vers le large pour esquiver des navires de la marine sri-lankaise. Le lendemain, le moteur a lâché… «Les enfants sont morts en premier, puis les autres, reprend Indramenon, 25 ans. Chaque jour, un mort. On pensait qu'on allait tous y passer.» Parmi les enfants, seul le bébé a survécu, sa mère ayant réussi à l'allaiter jusqu'à sa mort, la veille du sauvetage. «Elle avait tellement soif, raconte son mari, Jagadishwaran. Je lui ai donné de l'eau de mer, mais elle s'est mise à vomir. Elle est morte peu après. J'ai jeté son corps à la mer, comme celui de mon fils aîné, quatre jours plus tôt.»

Un à un, ces Tamouls qui vivaient dans les zones sous contrôle des Tigres (les LTTE) racontent les mois d'errance et de détresse, sous les bombes, avant leur départ. Des témoignages rares, puisque les observateurs indépendants sont interdits d'accès à la zone des combats, et même aux camps de réfugiés où s'entassent les 200 000 civils qui ont franchi la ligne de front. «Nous bougions en fonction des annonces du gouvernement sur les "zones sécurisées" , résume Indramenon. Mais au bout de quelques jours l'armée nous tirait dessus.» Des affirmations opposées aux déclarations de Colombo, selon lesquelles l'armée s'interdit de tirer sur ces enclaves créées pour épargner les civils. Quant aux accusations selon lesquelles les Tigres tirent eux-mêmes sur les déplacés pour accuser l'armée, «c'est faux». «Ils ne se mêlent pas aux civils. Ils restent à la périphérie de la zone sécurisée, et ne viennent que quand ils veulent recruter des jeunes pour aller au combat. Mais l'armée vise, elle, en plein milieu de la zone, là où il n'y a que des civils. Ce sont des bombardements aveugles. Il y a des morts tous les jours.» Pour se protéger, «chaque famille a construit un bunker à côté de sa tente» . De simples trous dans le sable, recouverts de troncs de cocotiers et de feuilles de palmes.

Bunker. Yesudas avait lui enterré son bateau - don d'une ONG après le tsunami - sur la plage, pour servir d'abri. «Nous y passions environ dix heures par jour les dernières semaines. Ça tombait de tous les côtés, on était même obligés de faire nos besoins à l'intérieur, dans des seaux.» Puis, le 20 avril, les combats se sont subitement rapprochés. Ce jour-là, l'armée a enfoncé une ligne de défense des LTTE, pénétrant dans la «zone sécurisée». Jayanaranjani raconte comment une balle lui a frôlé l'oreille lorsqu'elle a tenté de sortir du bunker pour aller chercher de l'eau au puits. «Il y avait des corps partout» , dit-elle. « J'ai entendu mon voisin crier à l'aide , ajoute Indramenon. Il était blessé, mais c'était du suicide de sortir pour l'aider. » Le soir même, Yesudas a déterré son bateau, et le groupe a pris le chemin de l'Inde. Pourquoi n'ont-ils pas tenté de passer en territoire gouvernemental, comme l'ont fait 100 000 personnes après cette offensive ? «Pas question d'aller dans les camps de réfugiés gouvernementaux , rétorque Indrakumar. Ils éparpillent les familles dans différents sites, et puis ils interdisent aux gens de sortir, sans ce que l'on sache combien de temps cela va durer. Nous ne sommes pas des animaux.» Jagadishwaran explique que, pour passer la ligne de front, les soldats obligent tout le monde à se déshabiller, par crainte d'attentats-suicides. «Nous, à la rigueur, mais nos femmes ? Ce n'est pas acceptable.» «La moitié d'entre nous sont morts en route, mais au moins, nous, les survivants, nous allons pouvoir avoir une seconde vie, intervient Yesudas, qui a perdu son père, deux de ses frères, une sœur, un oncle et un neveu pendant le voyage en mer. Ici, on pourra vivre dignement.»

Le groupe de survivants doit être transféré dans l'Etat du Tamil Nadu. Ils seront placés dans l'un des 117 camps qui hébergent près de 100 000 Tamouls sri-lankais débarqués par vagues successives ces dernières décennies, au gré des soubresauts de ce conflit qui a déjà fait plus de 70 000 morts.

 

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