DERAA/HOMS, Syrie - A Deraa, berceau du soulèvement contre Bachar al Assad, le régime syrien règne d'une main de fer sur la ville, entourée d'une multitude de barrages, ornée de portraits du président et sillonnée par des patrouilles militaires.
Dans les rues grouillantes de boutiquiers et d'automobilistes, la peur et la colère affleurent encore parfois à la surface dix mois après le début du mouvement de contestation.
Devant une école, tandis que passent des journalistes de Reuters, des fillettes crient "Liberté, Liberté".
La peinture noire étalée sur les murs peine à recouvrir entièrement les inscriptions déposées depuis mars dernier. Griffonné un nombre incalculable de fois, un même mot revient sans cesse, scandé à travers le monde arabe lors de révolutions en Tunisie, en Egypte ou en Libye: "Dégage !".
Accompagnée par un "fixeur" du gouvernement, une équipe de Reuters a pu se rendre à Deraa dans le cadre d'un déplacement strictement encadré par les autorités.
Située dans la plaine méridionale près de la frontière avec la Jordanie, cette ville déshéritée a été le théâtre des premières manifestations contre le régime en mars. Ses habitants se sont révoltés lorsque la police a arrêté et torturé un groupe d'adolescents ayant badigeonné des slogans hostiles au régime sur les murs de la cité.
Il a fallu plusieurs mois à l'armée pour écraser les manifestants à Deraa mais, depuis, la contestation s'est répandue dans les villes du centre du pays et dans les régions montagneuses proches des frontières avec le Liban et la Turquie.
Les visiteurs doivent désormais franchir au moins cinq barrages militaires avant d'entrer dans Deraa. A chaque fois, des soldats fouillent les véhicules et vérifient les papiers d'identité.
En mars, des manifestants avaient déboulonné une statue d'Hafez al Assad, père de l'actuel président et premier représentant du régime autocratique du clan Assad à partir de 1970. Désormais, des portraits d'Hafez et de Bachar al Assad ornent les rues et les devantures des magasins.
La répression a fait au moins 5.000 morts à travers le pays depuis mars, selon l'Onu. Le régime impute ces troubles à des "terroristes" soutenus par l'étranger.
Dans un bâtiment public incendié par les manifestants, selon les autorités, le sol est jonché de bris de verre.
"Ils ont incendié des commissariats et des bâtiments publics et attaqué plus de 400 écoles ici", affirme le général Mohamed Asaad, chef de la police de la province de Deraa.
Selon cet officier, l'opposition n'a aucune raison de manifester en raison des réformes promises par le pouvoir.
"Les dirigeants ont répondu à certaines de leurs revendications", dit-il. "Ils réclament la liberté mais ils n'ont aucune idée de ce que signifie la liberté."
La plupart des opposants refusent de dialoguer avec le régime tant que la répression se poursuit et ils exigent le départ de Bachar al Assad.
Haut lieu de la contestation, la mosquée Omari est encerclée par les barrages et des groupes de soldats. L'édifice semble intact. Les passants observent les étrangers avec suspicion tandis que les commerçants alentour refusent de parler.
"Allez-vous en et ne me causez pas de problèmes", lance un vendeur. "Quiconque désire voir la vérité peut la voir."
Une journaliste s'est approchée de l'équipe de Reuters pour dire qu'elle avait été menacée en raison de son soutien à Bachar al Assad.
"Mon coeur saigne. Quand je vois ce qui arrive à mon pays, cela me brise le coeur", dit-elle en refusant de donner son identité. "Ils veulent nous terroriser ici à Deraa, pourquoi?"
Le général Mohamed Asaad affirme, lui, que la ville est désormais sûre. Il fait état de 120 prisonniers libérés quand l'opposition estime à plusieurs milliers le nombre de Syriens arrêtés depuis mars.
"La vie est désormais normale, les rues sont libres. Il reste quelques hommes armés qui sont des bandits", dit-il.
A certains coins de rue, de nouveaux types de graffitis ont fait leur apparition: "Dieu, la Syrie et Bachar".
Près de la mosquée Omari, certains habitants laissent tout de même transpirer leur ressentiment.
"Que voulez-vous que je vous dise? Les choses ne sont pas claires. Nous préférons garder cela dans nos coeurs", soupire un vendeur.
"Rien n'a changé", dit un autre.
A Homs, plus au nord, la colère s'exprime parfois de manière brutale dans cette ville devenue l'un des principaux foyers de la révolte.
Se précipitant à l'extérieur du café Raouda situé dans le coeur de la ville, un homme s'en prend vivement aux journalistes auxquels il reproche de ne pas se rendre dans les quartiers tenus par la rébellion.
"Il y a des meurtres partout", crie-t-il.
"J'ai 65 ans et je n'ai pas de vie. Qu'est-il arrivé à mon pays? Qu'est-il arrivé à mon pays?"
"Que faites-vous ici? Allez à Bab Amro, allez à Khaldiya", poursuit cet homme en allusion à deux fiefs de l'opposition pilonnés par les forces du régime, selon les contestataires.
Jusqu'à cette explosion de colère, il avait été difficile de s'entretenir avec les habitants de Homs en raison de l'escorte du régime.
Prié de dire ce qui se passait en Syrie selon lui, l'homme hurle : "Demandez lui, demandez au président ce qui se passe en Syrie. Ne me demandez pas à moi."
Cet esclandre a attiré autour de l'homme une foule de laquelle se sont élevées des voix favorables au régime.
"De quoi parles-tu? La ville est sûre", lui a lancé un autre homme.
Le premier homme a répliqué : "Comment peux-tu dire ça? Comment peux-tu dire que tout est sûr? Tu peux te balader?"
"Je vais où je veux", lui a répondu l'autre homme.
L'auteur de l'incident s'est alors tourné vers les journalistes: "Ils vont venir me prendre, je crains pour ma vie, personne n'entendra parler de moi si je donne mon nom maintenant. Ils me tortureront, je disparaîtrai."
Un homme d'une cinquantaine d'années a alors chuchoté: "Vous voyez cet homme qui dit que tout est sûr? Il est de la sécurité, des services de renseignement."
Deux hommes âgés présents à côté de lui ont approuvé d'un signe de tête, avec de la colère dans le regard. "Ne les écoutez pas, ils sont de la sécurité", a dit l'un de ces hommes tandis que les deux autres acquiesçaient.
Des partisans de Bachar al Assad ont en revanche affirmé que leur vie était devenue un cauchemar et qu'ils ne se sentaient pas en sécurité.
"La ville est pleine de groupes armés, ils nous tuent et violent nos femmes", crie un homme.
Un autre reprend : "Tout allait bien jusqu'à ce que les bandes armées fassent leur apparition, elles sont à l'origine de nos souffrances."
L'homme à l'origine de l'incident a tenté de les contester mais ses amis l'ont ramené de force à l'intérieur du café et la foule s'est dispersée.