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Les Afghans, premières victimes des enlèvements

Reuters, le 8 septembre 2008

KABOUL - Sayed Mustafa se souvient de ce jour où il a reçu un coup de téléphone de sa famille lui signalant que son fils de dix ans n'était pas rentré de l'école.

Désespérément, il avait passé une nuit entière à sillonner les rues et hôpitaux de Kaboul. En vain.

Puis il avait reçu un coup de téléphone. "N'essayez pas d'informer la police ou nous tuerons votre fils. Ecoutez-nous bien, le prix de la rançon pour votre fils est de 200.000 dollars. Donnez nous l'argent et nous le libérerons."

"Je n'y croyais pas jusqu'à ce que j'entende mon fils pleurer et crier 'où es-tu papa?'", raconte Mustafa, un homme d'affaires qui importe du pétrole à Kaboul.

Comme lui, ils sont des dizaines d'Afghans à avoir enduré ces derniers mois le drame de l'enlèvement d'un proche dans un pays où la sécurité se dégrade et où la pauvreté motive le crime.

Contrairement aux étrangers, souvent la cible des taliban qui entendent mettre les armées ou les ONG sous pression, les Afghans sont le plus souvent victimes de gangs crapuleux à la recherche de fortes rançons.

La plupart des victimes sont issues de familles appartenant à la classe aisée et la vague d'enlèvements qui secoue le pays dissuade nombre d'investisseurs de s'aventurer sur le marché afghan.

Mustafa poursuit: "Pendant deux jours, je n'ai pas reçu d'autre coup de téléphone. Puis, le troisième jour, ils m'ont appelé et m'ont demandé si l'argent était prêt."

"J'ai voulu négocier pour faire baisser le prix", ajoute-t-il, au bord des larmes. "Je ne savais pas que cela allait coûter la vie à mon fils. Ils l'ont tué parce que j'ai hésité à payer."

DES RAVISSEURS DÉGUISÉS EN SOLDATS OU POLICIERS

"La situation en matière de sécurité s'aggrave de jour en jour. Il n'y a pas de travail, pas de bons salaires. Il est évident que les enlèvements vont augmenter", redoute Jawed Rashidi, médecin à Kaboul.

D'après le département d'enquête criminelle afghan (CID), quelque 130 personnes auraient été enlevées ces cinq derniers mois mais la réalité est, semble-t-il, bien supérieure. Le CID fait aussi état de cinq otages tués par leurs ravisseurs.

Sur ces 130 enlèvements, 13 seulement concernent des étrangers, qui sont soit des travailleurs humanitaires occidentaux soit des ingénieurs ou hommes d'affaires originaires de Turquie , Iran , Inde ou Népal.

"Les enlèvements sont motivés par des raisons politiques ou économiques", explique Mirza Mohammad Yaarmand, chef du CID. "Les ravisseurs se déguisent parfois en vigiles de l'Onu, des ministères, en soldats étrangers ou en policiers."

Les hommes d'affaires afghans, dont la plupart sont rentrés pour investir dans leur pays après la chute des taliban en 2001, sont particulièrement exposés.

"RICHE DU JOUR AU LENDEMAIN"

Le manque de sécurité les incite de plus en plus souvent aujourd'hui à faire le chemin inverse et à se réinstaller à l'étranger. Sayed Mustafa prévoit ainsi d'installer sa famille en Iran ou au Pakistan .

"C'est une tendance très dangereuse qui s'accroît pour les Afghans et les étrangers", décrypte l'analyste Adbullah Hashimzai. "Le manque d'emplois, l'extrême pauvreté, la corruption et l'incapacité d'agir de la police ajoutent au problème."

La situation est à ce point inquiétante que les hommes d'affaires afghans ont envoyé une délégation à la rencontre du président Hamid Karzaï en juin pour lui demander la création d'un tribunal spécial chargé de juger les ravisseurs.

Des médecins ont aussi fait grève cette année à Herat, dans l'ouest du pays, pour protester contre une vague d'enlèvements ayant visé des professionnels de la santé.

"Les enfants des gens riches, des hommes d'affaires, de familles revenues de l'étranger ou travaillant à l'étranger sont kidnappés", écrit le quotidien Hewad. "L'enlèvement est devenu une profession à part entière en Afghanistan à cause de la faiblesse de l'Etat de droit."

A l'instar de Giasuddin Usmani, un étudiant dont le cousin a été enlevé avant d'être libéré, la population afghane fustige l'inaction de la justice.

"On n'a pas assisté au moindre procès de ravisseurs sous le gouvernement (du président Hamid) Karzaï. Je préférais l'époque des taliban parce que les criminels étaient sévèrement punis et les gens ne pensaient même pas à commettre des crimes."

"Aujourd'hui, l'enlèvement est devenu un moyen facile de gagner sa vie. Il ne faut pas travailler dur. Visez une famille riche et vous deviendrez riche du jour au lendemain."